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ANGE DU ROCK N°10 : SYD BARRETT

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 4 juin 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 juin 2021


Syd Barrett old on his knees working on a wooden floor
© swampfactory@hotmail.com

Hasard quand tu nous tiens, tout est possible !


C’est effectivement par accident que je suis rentré dans ce commerce situé sur la nationale 20 à Antony en banlieue parisienne. Je cherchais des conseils pour refaire le parquet d’une maison que ma famille occupait depuis plusieurs décennies. Je passais chaque jour devant cette construction originale, moitié église moderne et moitié temple de la consommation.


La devanture annonçait « Entreprise Sidney Barré, parquet, moquette, aménagement et décoration intérieure » ; tout un programme qui me convenait. L’endroit respirait l’entreprise florissante et dès mon entrée je fus assailli par une jeune employée qui déjà me harcelait de questions : les dimensions des pièces, la qualité voulue, les couleurs désirées, les plinthes, le parquet flottant ou bien stratifié ? Stop, déjà j’étouffais ! Un seul détail me retint : derrière la caisse enregistreuse, une vielle photocopie noir et blanc punaisée au tableau de service de la boutique. Mais où donc avais-je vu cette image ? Elle représentait un jeune homme chevelu et hirsute accroupi dans une pièce nue sur un parquet peint en deux couleurs alternées. La photo était couleur sépia et un minable pot de fleur servait de décor…


Perdu dans mes pensées, laissant l’employée pérorer, je du réatterrir quand une voix masculine m’interpella. C’était celle d’un vieil homme qui venait à la rescousse de la jeune femme en mal d’arguments pour me décider. Veston gris croisé sur un gilet assorti, chemise blanche et cravate fleurie, ce monsieur était chauve et bedonnant ; un physique à la Mussolini… Pourtant ce regard me dit aussitôt quelque chose. Je connaissais ce type, je l’avais déjà croisé ! Il se présenta comme le patron ; « Sidney Barré, à votre service pour vos problèmes de parquets ». Seul indice pour ma mémoire défaillante, un très léger accent britannique le trahissait.


Il me fallut une semaine de nuits blanches pour enfin résoudre cette énigme qui m’empêchait de dormir. À trois heures du matin, hourra, j’avais enfin trouvé !!! Ses yeux étaient ceux de… Syd Barrett, le légendaire chanteur guitariste compositeur du premier Pink Floyd. Problème, il était décédé en 2006…

Et si tout ce qu’on avait raconté sur cet étrange personnage était bidon ? Et si le génial Syd avait survécu aux sixties ? Quitte à acheter toute la boutique, il me fallait y retourner pour éclaircir ce mystère.


Cette fois-ci, j’évitais les intermédiaires et m’adressais directement au patron. Pointant du doigt la photo derrière le comptoir je lui dis sans ambages :


« C’est quelqu’un de votre famille ?


– Non c’est moi quand j’avais vingt-cinq ans… » Face à mon regard faussement surpris et son activité professionnelle lui laissant visiblement quelques moments de libres, monsieur Barré me proposa de nous installer dans deux fauteuils au milieu du hall d’exposition et des catalogues de lambris et autres lames de bois traités.


« Comment m’avez-vous reconnu ? Le regard ? Car physiquement cela fait bien longtemps que j’ai perdu ma silhouette de jeune homme et à trente ans je n’avais déjà plus un cheveu sur le caillou. »


Intérieurement je me dis que ce type n’avait rien à voir avec ce Syd Barrett qui après avoir connu la gloire d’un premier album reconnu par tous comme un disque d’exception, était devenu complètement dingue à cause de drogues avalées en grande quantités. Était-ce un charlatan ou bien un survivant ? Les détails qu’il me donna par la suite me persuadèrent qu’il s’agissait bien de Roger Keith Barrett, plus connu sous le pseudonyme de Syd. Il me confirma qu’il était né le 6 janvier 1946 à Cambridge, qu’il avait été ami d’enfance avec Roger Waters et David Gilmour et qu’en 1965 il rejoignit ce qui allait devenir Pink Floyd.


« C’est moi qui ai trouvé le nom du groupe en juxtaposant les noms de mes deux musiciens de blues favoris Pink Anderson et Floyd Council. Aucun rapport avec un flamant rose comme le croit trop souvent vos compatriotes. À l’époque, j’étais jeune et beau gosse, je fourmillais d’idées, je composais, j’écrivais de charmants poèmes un peu bébêtes que je chantais pour une bande de hippies qui auraient mieux fait d’aller travailler ! Notre premier quarante-cinq tours Arnold Layne malgré la censure de la BBC s’était bien classé dans les ventes de l’époque. À Abbey Road, les Beatles enregistraient Sgt. Pepper et Paul McCartney était passé en voisin pour nous féliciter pendant l’enregistrement de notre album « The Piper at the Gates of Dawn ». Le succès m’allait bien (m’avoue t’il songeur et plutôt désabusé), mais tout a dérapé avec ce foutu LSD. On devrait pendre les dealers pour leur apprendre à nous empoisonner. J’ai été une victime collatérale de cette époque. J’ai vécu les sixties et j’ai tout oublié. Bon ok, ma santé mentale a dérapé et j’ai mis dix ans à me rétablir. Pour échapper à mon délire, je suis retourné vivre chez ma mère au 6 St Margaret’s Square à Cambridge. En 1975, je suis passé faire coucou à mes anciens partenaires lors des sessions d’enregistrement de Wish You Were Here. Ils m’ont fait écouter la version finale de Shine On You Crazy Diamond que j’ai trouvé plutôt datée… Le courant ne passait plus et ils m’ont bien fait comprendre que mon look ne convenait plus du tout. Pourtant ils n’ont eu aucun scrupule à chanter mes déboires et plus ils avaient du succès plus je m’enfonçais. Nos planètes ne s’alignaient plus et j’ai complètement disparu pour fuir les paparazzis. Je me suis installé en France où j’ai monté cette petite affaire. Mon goût pour la peinture m’a été utile pour choisir moquettes et papiers peints, puis je me suis spécialisé dans les parquets. Aujourd’hui je suis officiellement à la retraite mais je surveille mes employés toujours prêts à feignanter. »


Mentalement je me dis que ce n’est pas le patron que je désire interroger mais plutôt l’artiste oublié.


« Pourtant vos deux albums continuent à bien se vendre et les rééditions CD sont soignées.


– Tiens, je les avais oubliés ces vieux disques. C’était plutôt des démos que David Gilmour avait essayé d’orchestrer. Il s’est senti tellement coupable de m’avoir piqué ma place qu’il est régulièrement intervenu pour que mes royalties me soient versées.


– Et Roger Waters ? » Je sentis aussitôt que ce n’était pas un nom à prononcer. Le ton devint immédiatement agressif et Syd Barrett apparut sous des travers beaucoup plus antipathiques : un type brutal, revanchard dont la bile se déversa soudainement en un torrent de grossièretés.


« Je me souviens de ce 26 janvier, il faisait un froid de canard et j’attendais le groupe pour partir en concert. Ces salauds ne sont jamais passés me prendre, ils m’ont abandonné. Selon Waters, j’étais devenu plus un problème qu’un atout pour le groupe, et c’est lui qui a décidé les autres à ne plus venir me chercher. J’en suis convaincu, c’est lui qui a essayé de m’empoisonner… J’aurais dû m’en douter ce type est un bolchevique ! »


Face à mon air stupéfait, ce monsieur bouffi et ringard continua à déblatérer sans que plus personne ne pût l’arrêter. Furieux ce type ne ressemblait plus à Benito mais carrément à Adolf. Il éructait, transpirait, vociférant contre son malheureux copain d’enfance.


« Nos familles se fréquentaient, nous allions à l’école ensemble. Mais très tôt ce bâtard a commencé à militer contre la bombe atomique, pour la paix et toutes ces conneries. Il fait partie de ces types qui sans cesse dénigrent l’Occident. Ils ont tué Margaret Thatcher, insultent Trump et ne cessent de répandre leurs idées communistes. Pour faire le ménage il nous faudrait un Oswald Mosley ! Savez-vous jeune homme qu’il est décédé tout près d’ici à Orsay ? Évidement vous ignorez tout de ce véritable héros britannique. Heureusement aux États-Unis ils ont Ted Nugent... »


Cet homme ne parlait plus, il hurlait ! Ses employés présents détournèrent la tête ou restèrent cachés, probablement habitués à ces crises régulières de delirium aigu et de comportement violemment paranoïaque.


« Et ne me parlez plus de musique, je n’en fais plus, je ne joue plus de guitare et le dernier disque que j’ai acheté est celui de Carla Bruni parce que j’aimais bien son mari. Mais je ne l’ai jamais écouté, tous ces trucs décadents ne m’intéressent plus… »


Silence gênant. Que dire ? Que faire ? Mettre un pain à ce vieillard sénile ? Effondré sur son fauteuil le regard perdu dans ses délires suprémacistes, sa dernière phrase fut « Je ne supporte pas les gauchistes. ». À ce moment-là vu son état il aurait probablement fallu intervenir. Faire venir un toubib, un prêtre ou bien encore les pompes funèbres. Mais personne ne bougea et tel un Staline agonisant, son entourage pétrifié le laissa crever. Je décidais alors de me retirer en refusant de m’apitoyer : le gentil lutin pop psychédélique s’était transformé en un vilain tyran ordinaire.


Aujourd’hui quand je repasse devant cette boutique je ne peux m’empêcher de repenser à ce mauvais rêve éveillé mais désormais une certitude m’habite : Syd Barrett est définitivement barré !




Syd Barrett sitted on a wooden floor.

À lire en écoutant : Syd Barrett The Madcap Laughs

 
 
 

1 commentaire


Patrice Villatte
Patrice Villatte
07 juin 2021

Bien barré, ce Syd Barrett !!!

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