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ANGE DU ROCK N°50 : OTIS REDDING

  • Photo du rédacteur: swampfactory
    swampfactory
  • 15 sept. 2023
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 oct. 2023


Otis Redding reading a book in a classroom.
© swampfactory@hotmail.com

« Samuel Doe Junior ?

– Présent !

– Willy Tubman ?

– Présent !

– Charly Taylor ?

– Présent !

– Paul et Timothy Weah ?

– Présents !

– Little James Sirleaf ?

– Présent !

– Ric Tolbert ?

– Présent !

– Johnny Boakai, asseyez-vous et shut up ! »


Ainsi s’égrène la longue liste des élèves de dixième année (l’équivalent de la troisième dans un bahut français) du « college of West Africa » à Monrovia, capitale du Liberia. Quand leur patronyme est cité, chaque élève, tous des garçons, se lève et confirme sa présence. L’homme qui fait l’appel est un vieux monsieur aux cheveux crépus et blancs. Il semble être respecté même si la classe détient son lot de turbulents. Dans le cadre d’un jumelage avec de jeunes collégiens français, nous avons répondu à l’invitation de la fondation EJS créée par Ellen Johnson Sirleaf qui devint en 2005 la 24e présidente du Liberia et la 1ere femme élue au suffrage universel à la tête d’un état africain.

Entre les deux groupes d’élèves l’échange est chaleureux même si de façon surprenante apparaît rapidement une fracture entre ces enfants de notables, tous fils de personnalités du Liberia et ma classe de mômes de banlieue. Les questions fusent. Les africains veulent tout savoir sur Paris et les européens s’interrogent sur l’absence de mixité, l’uniforme imposé et sur ce que l’on mange à la cantine. Quand la petite Marie pose une question sur l’origine du Liberia, l’ancestral professeur prend la parole : « une association américaine « l’American Colonization Society » a commencé à coloniser le territoire en 1822. Elle ne voulait pas la manumission c’est-à-dire l’affranchissement des esclaves mais souhaitait en renvoyer le plus possible en Afrique… Des milliers d’Afro-américains s’y installèrent et en 1847 le pays déclara son indépendance. Pourtant les Américano-Libériens ne s’intégrèrent pas aux cultures des peuples indigènes. Ils imposèrent leur domination et il faudra attendre 1980 pour qu’enfin un premier président autochtone prenne le pouvoir. Malheureusement ce fut ensuite une succession de dictatures et de guerres civiles et ce n’est que depuis peu que les changements à la tête de l’état se font démocratiquement et pacifiquement.

– Mais vous monsieur, vous êtes né en Amérique ? demande en levant la main Samuel Junior. – Effectivement je suis né aux États Unis le 9 septembre 1941 à Dawson en Géorgie et je suis arrivé au Liberia au début de l’année 1968. Depuis je n’en suis jamais reparti. Dans ce pays meurtri la vie n’est pas facile mais je me suis attaché aux gens d’ici et j’essaie de faire oublier d’où je viens et qui je suis… »

Sa voix est d’une incroyable modulation et transpire la mélancolie. Toute la classe écoute intriguée, presque envoutée par ce vieillard qui visiblement n’a pas tout dit. Mais l’heure tourne et au signal du prof, tels des étourneaux affamés, les élèves se volatilisent en direction de la cour de récré. Nous voici donc seuls, face à face dans cette salle de classe vidée de sa raison d’exister. Je ne peux m’empêcher de le questionner à mon tour. Pourquoi avoir quitté son pays d’origine pour se retrouver dans un des pays les plus déshérités ? « C’est une longue histoire. Dans les années soixante j’étais chanteur connu sous le nom d’Otis Redding… ». Stupéfait par cette révélation, je tombe de ma chaise, ce qui a pour effet de faire sourire ce patriarche massif et moustachu à l’allure fière et à la silhouette encore solide malgré les effets des années passées. « J’ai connu le succès et peut-être avez-vous entendu mes anciennes chansons : Respect, I’ve Been Loving You Too Long, Mr. Pitiful qui est devenu mon surnom ou encore (I Can’t Get No) Satisfaction. Ces titres vous disent quelque chose ? – Bien sûr, je connais ces tubes. Ce sont des monuments de la musique soul que toute personne née dans la seconde moitié du vingtième siècle ne peut ignorer. Je me permets une petite remarque : ce dernier titre est une création de Mick Jagger et Keith Richards des Rolling Stones. – Effectivement, je vois que monsieur connaît ses classiques. Mais reconnaissez que ma version vaut l’original. J’ai accéléré le tempo, modifié les paroles et surtout rajouté ces cuivres qui étaient ma spécialité. D’ailleurs je me suis laissé dire que c’est souvent de cette façon que ces messieurs anglais jouent cette mélodie coquine et enjouée. J’ai eu mon lot d’hommages et beaucoup de mes compositions ont été reprises par de nombreux artistes et même par quelques français.

Intérieurement je m’attends à ce qu’il cite Hallyday mais non, c’est le compliment appuyé du groupe Magma publié sous le nom d’Otis que mon interlocuteur connaît. Étrange personnage qui en pleine gloire a officiellement disparu le 10 décembre 1967 quand son avion privé s’est craché sur un lac gelé dans un coin paumé du Wisconsin. Je reviens donc à ma question initiale : « Mais que faites-vous ici ? – La chance a voulu que ce n’est pas moi qui suis monté dans ce maudit bimoteur Beech 18. C’est le dealer de mon copain Johnny Jenkins qui a pris ma place. On avait la même corpulence et c’est son cadavre qui a été retrouvé. Je ne voulais pas voyager avec ce sale type. À l’époque j’étais très en colère. Quelque mois avant l’accident, j’avais triomphé au festival international de Monterey mais la maison de disques s’était mise en tête de publier un album live avec une face pour la performance d’Hendrix et une autre pour ma prestation. Honnêtement ne méritais-je pas un disque entier ? Et puis Jimi exagérait. J’ai été terriblement choqué quand il a brulé sa guitare en public après avoir mimé l’acte sexuel avec son instrument. Quel manque de respect et ce n’est pas ma copine Aretha qui me contredirait ! J’y ai vu l’influence néfaste de la drogue sur la jeunesse. Le milieu de la musique me dégoutait. Il fallait sans cesse arroser les disc-jockeys influents pour passer à la radio, partager les crédits avec des managers véreux prêts à tout pour quelques dollars de plus. Pour moi la réussite c’est porter un costume bien taillé, pas de me déguiser. Vous savez, je viens de la campagne, j’ai connu la misère et je n’aime pas gâcher. Quand j’ai quitté le navire, je n’avais pas terminé l’enregistrement de (Sittin’ On) The Dock Of The Bay. Jim Stewart le cofondateur de Stax Records a demandé à Steve Cropper mon fidèle guitariste de lui donner ce sifflotement pop que je n’avais pas prévu de garder et qui a plu au monde entier. Peut-être voulaient-ils passer du son rugueux qui me caractérisait à une sonorité plus sucrée à la Motown pour attirer un public plus large et plus argenté ? C’est devenu le premier n°1 posthume de l’histoire des charts américains et Atlantic en a vendu des paquets. Déjà qu’ils m’avaient imposé pour la pochette de mon album Otis Blue, le portrait d’une jolie blonde sous prétexte qu’une photographie d’un homme noir risquait d’en limiter les ventes. Je n’en pouvais plus de la cupidité des blancs. Bien sûr le temps de l’esclavage était passé mais la ségrégation raciale battait son plein. Je soutenais le mouvement américain des droits civiques mais je n’étais pas militant. J’étais chanteur. J’ai vu des copains se faire lyncher et comme j’avais lu Marcus Garvey, j’ai craqué. Son message « back to Africa » m’a parlé et j’ai profité de l’accident pour disparaître et embarquer pour le Liberia où je suis devenu enseignant : un bien beau métier que je n’arrive pas à quitter. »

Ces touchantes révélations sont alors interrompues par la retentissante intro cuivrée et groovy de Fa-Fa-Fa-Fa-Fa (Sad Song) l’un des grands succès d’Otis. Je comprends qu’il s’agit de la sonnerie rappelant la reprise des cours.

Ce clin d’œil visiblement habituel ravit les frenchies et la petite Marie rentre en classe en se trémoussant sous le regard des jeunes mâles subjugués et du sympathique professeur Redding.


« Sortez vos manuels, il est temps de se mettre à travailler ! »

Blue bird whistling The Dock Of The Bay.

À lire en écoutant : Otis Blue, Otis Redding sings Soul

 
 
 

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