ANGE DU ROCK N°13 : PETER GREEN
- Patrice Villatte
- 17 sept. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 sept. 2023

ACTE I « A NIGHT AT THE OPERA »
Ce 25 février 2020, j’ai rendez-vous devant le plus célèbre théâtre de Londres, le Palladium, construit en 1910, temple des comédies musicales britanniques et passage obligé de tous nos rockers favoris. Ce soir Mick Fleetwood a prévu de célébrer la musique de Peter Green avec qui il a fondé Fleetwood Mac en 1967. Le programme est alléchant, j’ai mon ticket ; en avant !
La soirée commence bien. Le maître de cérémonie, monsieur Fleetwood géant en taille et en talent affiche ses 73 printemps et présente simplement la soirée. Il s’agit d’inviter ses amis qui vont nous interpréter les morceaux emblématiques du premier Fleetwood Mac, ceux composés ou régulièrement interprétés par ce guitariste génial mais quelque peu oublié le susnommé mister Green.
Aussitôt le show débute avec Rick Vito au chant et à la guitare pour ensuite laisser Johnny Lang balancer le Homework de Otis Rush, un de mes titres préférés… Le son est nickel, le mix des guitares épatant et derrière ses fûts Mick Fleetwood est triomphant. À sa gauche, il s’est adjoint un second batteur : Zak Starkey, le fils de Ringo qui le soutient tout en souplesse. Il a aussi recruté Andy Fairweather Low le guitariste le plus subtile du métier ; bref, il est parfaitement entouré pour honorer la musique de son ancien complice.
Billy Gibbons en vacances des ZZ Top déboule avec son look barbu improbable pour nous rappeler que question traitement du blues il en connaît un rayon. Suit alors John Mayall père du Blues boom britannique sans qui rien ne serait arrivé. Véritable pépinière de talent, c’est désormais un octogénaire et s’il a quelque peu perdu de son aura, le public s’émeut devant l’homme qui a découvert Clapton, Green, Mick Taylor et tant d’autres musiciens fameux. Un autre increvable lui succède, Steven Tyler qui ne passe pas inaperçu dans son accoutrement mi diva mi sorcier. On le soupçonne d’être un fan de longue date depuis les débuts d’Aerosmith. Sa version de Rattlesnake Shake tirée de l’album Then Play On de 69 qu’il interprète avec brio et maracas assortis, doit lui rappeler le garage de ses débuts. Personnellement trop jeune pour les sixties, j’ai découvert ce titre formidable sur The Visitor, l’album solo que Mick enregistra au Ghana en 1981. Ce furent ses retrouvailles avec Peter Green. Mais ce soir malheureusement son vieux compère est aux abonnés absents…
C’est pendant ce morceau que je le remarque. Il est assis juste devant moi et me tourne le dos. Son léger dodelinement m’interpelle ; non pas qu’il me dérange, mais voir ce monsieur au crane dégarni se trémousser a quelque chose de très amusant. Quand Christine McVie entre sur scène, je sens que l’émotion le submerge. Il se lève d’un bond pour applaudir comme s’il retrouvait une vieille connaissance. La prestation de Noel Gallagher semble le laisser plutôt apathique et je le soupçonne même de s’être légèrement assoupi. Mais l’intervention de Pete Townshend éveille à nouveau mon voisin (il est connu que le génie des Who est capable de réveiller les morts). Il se redresse une nouvelle fois quand David Gilmour apparaît. Visiblement le guitariste de Pink Floyd ne le laisse pas indifférent. Il se retourne brusquement et me prend à parti : « je l’ai toujours dit, ce type est un géant ! ».
Ma stupéfaction est totale, je ne peut y croire : c’est Peter Green en personne qui assiste à un concert qui lui rend hommage ! Le plus incroyable, c’est qu’il est là, incognito. Il a probablement payé sa place et personne n’a semble t’il, fait le rapprochement. Quand apparaît Jeremy Spencer accompagné de Bill Wyman, je n’écoute plus, j’observe un homme qui voit défiler sa vie en musique à travers la prestation d’artistes qu’il a bien connus il y a plus de cinquante ans. Le dernier invité, un certain Kirk Hammett de Metallica, fait un chorus speedé sur The Green Manalishi, classique du Fleetwood Mac première période qu’il a probablement découvert grâce à la version de Judas Priest. Inutile de vous dire que pour Papy Green c’est du chinois. D’ailleurs je vois bien qu’il s’impatiente. Çà y est, il se lève, bien décidé à quitter les lieux aussi discrètement qu’il est arrivé, seul et quelque peu dépassé. Aussitôt debout, je le vois perdre l’équilibre et le récupère in extremis avant qu’il ne tombe dans les escaliers du théâtre. Je l’aide à se rétablir et me vois bien obligé de le raccompagner à la sortie.
À ce moment je ne sais pas que cet incident va me faire louper une magnifique version d’Albatros, très bel instrumental de Peter, interprétée par Gilmour. Je ne le découvrirai que plus tard grâce au DVD.
ACTE II « STREETS OF LONDON »
Peter Green est un vieillard attifé d’une parka sans âge et d’un bonnet afghan. Sa démarche est hésitante et sur le trottoir il semble perdu. Quand je le vois partir seul à pied dans les rues de Londres, je sens bien que je ne peux pas le laisser tomber.
« Où habitez vous ? Quelqu’un vient vous chercher ? Voulez vous que je vous accompagne ?
– Vous êtes bien aimable. À mon âge on ne repousse pas une main tendue. J’habite au 31 Montagu Square ; pas très loin d’ici. Si vous êtes disponible ce n’est pas de refus. »
Et nous voila cahin-caha remontant vers Marylebone. Je connais bien le quartier car c’est là que Jimi Hendrix puis John Lennon ont séjourné dans un appartement, propriété de l’incontournable Ringo Starr. Le frima de cet hiver londonien nous a réveillé et monsieur Green n’a plus besoin de mon bras, sa canne lui suffit pour marcher. L’heure n’est pas à la course poursuite mais plutôt à la déambulation tranquille. Peter Green est remonté contre ce jeune guitariste qui visiblement l’a saoulé et qu’il nomme le gratteux métallique… Pour le reste il est ravi d’avoir revu des personnes qu’il se souvient avoir fréquentées sans toutefois être toujours capable de bien les identifier. « Vous n’avez pas été invité ? Vous n’auriez pas voulu revoir Mick Fleetwood ?
– Vous n’y pensez pas ! À mon âge je ne sors plus beaucoup en société et puis tout ce joli monde m’a quelque peu oublié. »
Je lui annonce que j’ai beaucoup apprécié la version de Man of the World interprétée par Neil Finn, un nom qui visiblement ne lui dit rien du tout. « C’est un jeune homme de soixante-trois ans, un néo-zélandais transfuge de Crowded House appelé à remplacer Lindsey Buckingham dans la dernière émanation de Fleetwood Mac.
– Un néo-zélandais ? Quelle drôle d’idée me répond-il à peine intéressé.
– Fleetwood Mac est aujourd’hui plus connu pour ses albums pop-rock façon Rumours est vendu à ce jour à plus de quarante millions d’exemplaires.
– Tant que ça ? C’est Mick qui doit être content, lui qui a toujours aimé l’argent… Quand il a décidé de conquérir le marché US j’avoue que j’ai décroché et quand il a embauché ce jeune couple d’américains il a gagné le jackpot. Je sais que John McVie et Christine Perfect ont tiqué face à cette évolution mais ils ont suivi. La célébrité ne leur faisaient pas peur.
– Et vous ?
– Moi, elle me terrifiait ! Je ne suis pas né pour être idolâtré et si Dieu m’a appelé ce n’est pas pour être crucifié. Quand B.B. King a dit que j’étais le seul guitariste à le faire frissonner je fus terriblement gêné. Pourtant on ne m’a pas fait de cadeaux, on m’a fait passer pour dingue et il a fallu me cacher.
– Vous avez refait surface en 1979 avec un superbe trente-centimètres In the Skies. J’ai adoré cette période et je n’ai loupé aucun de vos disques que j’achetais dès leur sortie.
– Merci, c’est gentil, mais quand ils ont commencé à vendre des versions vinyles colorées de mes albums, à nouveau je me suis retiré. Le business voulait me faire passer pour un clown triste. J’ai refusé.
– Vous êtes revenu au milieu des années 90 au sein du Splinter Group.
– Effectivement, c’est ce bon vieux Nigel Watson qui est venu me chercher. Il a réussi à m’appâter en rameutant un super groupe avec notamment Cozy Powell, un batteur que j’avais connu avec Jeff Beck, un frappeur heavy armé d’une énorme batterie qu’il a fallu calmer. Quand ils se sont aperçus que personne ne m’entendait, ils ont baissé le son et la magie du blues est réapparue. Malheureusement ça n’a pas duré. Nigel prenait trop de place et sur scène je me contentais de jouer rythmique lui laissant la vedette. Les disques étaient bons et j’ai pu jammer avec Otis Rush, Buddy, Guy, Hubert Sumlin et quelques autres authentiques héros du blues. Mais sur scène je m’endormais… »
À ce moment de notre conversation nous étions arrivé à destination. Peter m’explique qu’il habite au sous-sol de ce bel immeuble bourgeois si typiquement britannique. Il faut descendre un escalier étroit dissimulé derrière une élégante grille en fer forgé. Une fois de plus, un soutien amical serait bienvenu. Chercher sa clé est une épreuve et nous entrons enfin dans un petit appartement tristement tenu qui nécessite en tout temps un éclairage artificiel, comme c’est généralement le cas dans ces basements londoniens. Une Gibson Les Paul de 59 trône au milieu de la pièce. « Je croyais que vous l’aviez vendu à Gary Moore ? ». Aucune réponse, Peter Green s’est affalé dans un vieux fauteuil Victoria, ses yeux sont clos ; il dort déjà. Le temps de le recouvrir d’un plaide élimé, je quitte alors son appartement sur la pointe des pieds évitant de claquer la porte pour ne pas le réveiller.
On m’annonça qu’il mourut quelques semaines plus tard. Je n’en crois rien. Régulièrement quand je passe dans le quartier, je vois de la lumière par le soupirail. Et hier, j’ai entendu de la guitare. Impossible de se tromper, j’ai reconnu Peter Green jouer les notes d’Albatros ce magnifique morceau si facilement identifiable que j’avais loupé lors de cette soirée inoubliable !

À lire en écoutant : Mick Fleetwood and friends Celebrate the music of Peter Green ;
Peter Green In the Skies
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