ANGE DU ROCK N°14 : LEMMY KILMISTER
- Patrice Villatte
- 1 oct. 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 oct. 2021

Les étés charentais peuvent être chauds ! Très chauds… Quand on est dans le nord du département, une seule solution s’offre alors à vous : passez votre journée au bord de la Vienne puis rabattez-vous en fin d’après-midi à Suaux chez l’anglais… Oh ce n’est pas un lord qui tient ce minuscule bar, c’est Philthy ! L’endroit donne sur une charmante placette ombragée, idéale pour se désaltérer. Dans la salle qui ressemble à une grange, surplombe un petit balcon jadis prévu pour accueillir quelques musiciens, (d’ailleurs, j’ai toujours pensé que mon grand-père avait dû y jouer, lui qui animait les bals au début du vingtième siècle…). Aujourd’hui le son provient d’un vieux jukebox qui trône au milieu d’un étrange capharnaüm. La sélection musicale est pointue : que du vieux rock et des groupes anglais sixties style Rolling Stones, Kinks et compagnie. Rien après 1969…
Je connais bien l’endroit. Un jour, je m’y suis rendu avec mon pote Laurent. Nous nous sommes installés en terrasse après avoir commandé deux bières comme de bien entendu. C’est d’abord la voix qui m’a interpellé ! « Fuck, aucun Beatles dans ton Wurlitzer ? » Tous les rockers n’ont jamais oublié cette voix sombre et gutturale qui à chaque concert annonçait « We are Motorhead et we play rock’n’roll ! ». Et bien c’est la même voix, c’est celle de Lemmy Kilmister !!! Impossible me direz-vous ? Et bien si vous ne me croyez pas, rien ne vous empêche d’y passer ! Et Philthy de s’excuser devant l’ogre : « Lemmy, tu sais bien que je préfère les Stones à tes Beatles bien peignés !
– Dis plutôt que tu n’as jamais pu saquer les gars de Liverpool. Tu resteras toujours un « bastard » de londonien ! Tu ne les as jamais vus au Cavern Club. La bande à Jagger, à coté c’était des gentils ! » Ne voulant pas interférer dans cette aimable conversation, j’appuie sur le bouton sélection du Jukebox pour lancer Long Tall Sally de Little Richard. Connaissant bien mon rock’n’roll, et conscient que pour cette génération de vieux britanniques la « diva de Macon » ne peut faire que l’unanimité, j’attire ainsi le regard du monstre légendaire. « Putain ça c’est bon ! C’est lui le dieu du rock et ce type-là, me montrant du doigt, a suffisamment bon goût pour me payer une bière. N’est-ce pas ? » Impossible de refuser ! Et nous voilà installés avec un ange du rock bien vivant et toujours menaçant ! Comment ne pas le reconnaître ? Il a tous les attributs qu’on lui connaît : La moustache et les favoris liés, la chevelure abusivement teinte en noir foncé, le chapeau confédéré, le médaillon nazi, les bottes faites sur mesures, plus un short taillé court dans un jean sans âge pour affronter une canicule estivale peu adaptée à un natif du Staffordshire. Tiens ! En le regardant de près, il me semble qu’il manque quelque chose… Pas le temps d’y réfléchir, Lemmy me lance :
« Alors gringo ! fan de rock’n’roll ?
– Pas qu’un peu mon capitaine. J’ai vu Motorhead plusieurs fois sur scène et j’y ai gagné quelques acouphènes. On vous croyait mort ou à L.A. ?
– Non mon heure n’est pas encore venue, répond-il amusé. Je ne supportais plus les Ricains. Los Angeles est une putain de ville où il ne fait pas bon crever et où diabète et bouffe américaine ne font pas bon ménage. De plus pour moi les gonzesses c’est terminé. Il m’a fallu donc déménager.
– Mais pourquoi dans ce coin paumé de Charente ?
– À cause des antiquités… Comme je suis grillé chez les rosbifs, j’ai repris une affaire de brocante pas très loin d’ici. C’est Biff de Saxon qui m’a recommandé.
Laurent intervient : « Ça tombe bien, on recherche un abreuvoir en pierre taillée ?
– J’en ai plusieurs à vendre… Ne te dérange pas Philthy, ces gars vont me raccompagner ! »
Et nous voilà sur les routes de campagne à causer des beaux jours de Motorhead.
« Alors Lemmy aucun regret d’avoir arrêté ?
– Comme je te l’ai dit gringo (il appelle tout le monde ainsi), j’ai passé l’âge de me trémousser et cette saloperie de cœur m’a trahi. De plus je me suis fâché avec Mikkey Dee. J’ai joué plus de vingt ans avec un batteur homophobe et ça suffit. En plus, cette saleté de suédois n’a jamais rien compris à propos de mon intérêt pour les armes et les insignes nazis. D’ailleurs depuis il a rejoint les Scorpions… C’est aussi une des raisons qui a fait que je me suis retiré : j’en avais marre de me justifier à propos de mes collections. Non je ne suis pas Nazi mais j’ai le goût pour les belles choses ! Et puis tout ce cirque Heavy Metal m’était devenu insupportable. On a beau le chanter sur tous les tons, les gens n’entendent pas : Motorhead était un groupe de Rock’n’roll, pas du trash machin, du speed ceci ou du heavy cela, non juste un bon groupe de rock ! Ça y est je m’énerve, je m’épuise et j’ai oublié mes cachets ! Il était grand temps de remiser la Rickenbacker au placard et tant pis pour ceux qui ont loupé l’aventure. Mon seul regret c’est d’avoir été viré d’Hawkwind. S’ils ne m’avaient pas jeté je serais resté dans ce groupe. J’adorais ce rock planant et psychédélique, et le monde entier aurait alors loupé Ace Of Spades. Ça aurait été beta ! »
L‘endroit où notre héros a trouvé refuge est à l’image du personnage. Étonnant ! Il s’agit d’une ancienne usine, suffisamment immense pour engranger des tas de trucs improbables. Dès l’entrée dans la cour, on trouve des pierres de toutes tailles, des vieilles cheminées plus ou moins reconstituées, des margelles de puits récupérées dans les fermes environnantes. Une aile du bâtiment est consacrée aux meubles anciens, les caves sont remplies d’éviers, de WC, de bidets plus ou moins ébréchés et les étages sont occupés par une collection de portes et de fenêtres ainsi que d’objets plus ou moins identifiés : un bonheur pour les fouineurs ! Certaines pièces sont fermées au public. On imagine que c’est ici que Lemmy a rapatrié sa fameuse collection de couteaux du troisième Reich. Reste à savoir si derrière cette immense porte de garage, il ne cacherait pas aussi quelques chars d’assaut dont nous savons qu’il est particulièrement friand. L’abreuvoir proposé fait six mètres de long. Nous repartirons sans. Mais mon copain trouve une masse d’arme médiévale que Lemmy semble regretter de devoir céder. Depuis le début de notre rencontre j’observe l’animal. Quelque chose cloche… Enfin, Je trouve ce qui a changé dans son apparence si caractéristique. Monsieur Kilmister s’est fait enlever les deux énormes verrues qu’il avait, plantées sur sa joue gauche. Pour l’homme qui chantait I Ain't No Nice Guy ça a dû être une drôle de tragédie.

À lire en écoutant : Motorhead Orgasmatron
Excellent celui-ci, et drôle !