ANGE DU ROCK N°15 : JOHN BONHAM
- Patrice Villatte
- 15 oct. 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 oct. 2021

Je savais que mon grand-père avait été emprisonné pendant la seconde guerre mondiale. Il avait passé plusieurs années au Stalag IA, un camp de prisonniers de guerre allemand situé près du village de Stablack. Aujourd’hui ce lieu de villégiature oublié se trouve coincé entre l’enclave de Kaliningrad en territoire russe et la banlieue de Klaipeda en Lituanie. Cette dernière était à l’époque une ancienne ville hanséatique qui portait le nom germanique de Memel. Elle est restée un port actif de la mer baltique et s’est considérablement développée depuis la chute de l’URSS. C’est dans une vilaine zone industrielle et commerciale (l’équivalent de notre France moche) que je me suis perdu à la recherche des traces de Marcel le père de ma maman.
C’est l’enseigne qui m’a interpellée. Ne lisant pas le russe et encore moins le lituanien, j’ai reconnu les quatre signes mystérieux qui ornent la pochette du Led Zeppelin IV. En entrant dans ce gigantesque hangar, je ne sais pas à quoi m’attendre. Je comprends vite que je suis tombé sur une caverne d’Ali Baba puisqu’il s’agit d’un entrepôt de merchandising d’un de mes six groupes préférés. Sur de multiples étages s’étalent des milliers de produits à l’effigie des œuvres de Robert Plant, Jimmy Page, John Paul Jones et John Bonham. C’est justement un monsieur ressemblant au batteur légendaire qui m’interpelle. « Vous désirez ? » me dit-il dans un anglais plutôt arrogant. Le type est âgé, plutôt bedonnant, habillé comme un gangster avec un borsalino planté sur le crâne. On ne peut pas dire qu’il soit sympathique. Je réussis à l’amadouer en passant pour un fan intrépide (ce que je suis finalement).
Il m’autorise à déambuler dans la boutique sans jamais me lâcher du coin de l’œil. Toute la discographie de Led Zeppelin en quantité astronomique, plus des compilations, des bootlegs, des K7, des DVD, des posters géants, des colifichets de toutes sortes, des t-shirts à foison, des casquettes avec le logo du groupe, des blousons, des bagues, des colliers : on trouve de tout ! Dans un coin, des trucs plus rares que l’on peut acheter à bon prix : les disques d’or du groupe, des photos dédicacées, des billets de concert usagés et même une batterie Ludwig « Vistalite » certifiée d’époque. Tout sur un groupe qui a vendu plus de 300 millions d’albums à travers le monde et qui s’est dissout à la suite de la mort de Bonham à 32 ans en 1980…
Sauf que John Bonham est là devant moi ! Quand je lui fais remarquer qu’aucun des disques à vendre ne porte le nom de la marque Atlantic, le label officiel de Led Zep, je comprends alors que ce ne sont que des produits de contrefaçon et qu’il va me falloir être habile pour le faire parler… Comme tout bon mafieux, le bonhomme n’est pas très volubile. Oui, il est bien le batteur de Led Zeppelin, oui il a quitté le groupe il y a plus de quarante ans.
« Mais pourquoi ? Je demande. – Parce que j’ai fait des conneries et que mon vieux pote Robert Plant m’a lâché. Je viens d’un milieu ouvrier et la gloire et la fortune m’ont fait tourner la tête. Quand Peter Grant notre manager de l’époque m’a surpris en plein trafic, il a fallu que je sauve ma peau et j’ai filé à l’anglaise. »
Je n’en saurais pas plus et préfère orienter la conversation sur une carrière pour le moins extraordinaire. Celui qu’on surnomme Bonzo a-t-il conscience qu’il est considéré comme l’un des meilleurs batteurs de rock et l’un des plus influents ?
« Je m’en fous. À l’époque, des enfoirés d’intellos trouvaient mon jeu peu subtil et mon solo trop long. C’était pour laisser le temps aux autres de s’enfiler de la drogue et de se taper des gamines. Ce qui est certain c’est qu’aujourd’hui j’entends des tas de batteurs qui copient mon style. Si j’avais su j’aurais déposé des droits d’auteur sur mes plans de batterie. Sûr ! je n’aurais pas à vendre toutes ses saloperies. – Et votre fils Jason ?
– Ah celui-là ne m’en parlez pas ! Il a tout fait pour me piquer ma place… Il a hérité de toutes mes qualités sauf qu’au bout de trois shots de tequila il est rétamé. Au Live Aid en 85, il a fallu deux batteurs pour me remplacer dont Phil Collins et un black dont j’ai oublié le nom. Trois ans plus tard j’ai failli revenir pour l’anniversaire d’Atlantic Records, mais ils ont préféré le fiston. Ce fut catastrophique. Il parait que pour la reformation de 2007, Jason était très bon mais c’est Jimmy Page qui n’assurait plus. La réalité c’est qu’ils ne se sont pas reformés parce qu’ils n’ont jamais pu me remplacer. J’ai encore des contacts avec ma sœur cadette Deborah. C’est une grande chanteuse qui n’a pas eu le succès mérité. J’ai pensé la rejoindre mais les promoteurs ne veulent pas raquer. Et puis il me faudrait passer des frontières où je suis probablement encore fiché. C’est plus simple du coté russe. Un bon bakchiche et le tour est joué. La proximité de Kaliningrad me permet d’exporter tous mes produits sur tout le marché russe jusqu’en Sibérie. Ils ont soif de légendes rock et je suis là pour les approvisionner. Quand l’argent manque, on échange contre de la Vodka et hop c’est réglé. »
John Bonham n’est pas le genre d’homme que l’on contredit. D’ailleurs on se demande si sous le léger renflement de son veston croisé ne se cache pas un flingue. Quand je passe à la caisse pour régler une tonne d’achats aussi indispensables qu’une serviette de bain représentant le dirigeable du premier album ou un réveil matin avec un cadran à l’image du troisième, il me trouve suffisamment sympa pour me faire entrer dans un atelier où tournent sept imprimantes 3D. Sans aucune autorisation du groupe il fait reproduire « The Object » ! Pour les amateurs, il s’agit du graal ! La reproduction soignée de la fameuse statuette noire qui figure sur la pochette de l’album Présence. Un objet mystérieux dont personne ne connait véritablement la signification. Inutile de poser la question à monsieur Bonham. Il est plus intéressé par le prix de vente que l’on peut en tirer. Surprise, il m’en offre un exemplaire en me demandant : « Pensez-vous qu’il y est un marché pour ce genre de produit ? », sous-entendant existe-t-il des crétins prêts à l’acheter ?
L’homme qui avait des castagnettes aux bout des pieds est devenu un homme d’affaire peu scrupuleux, et je le quitte sans me retourner.
Quelques mois plus tard, j’appris que la boutique avait été fermée par les douaniers et que le bonhomme était passé coté russe. Le 5 avril 2018 le principal hebdomadaire indépendant de Kaliningrad « Novye Kolesa » annonçait qu’un citoyen britannique non identifié avait été abattu. Le lendemain les autorités faisaient fermer le journal…

À lire en écoutant : Led Zeppelin Presence
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