ANGE DU ROCK N°19 : RONNIE JAMES DIO
- swampfactory
- 10 déc. 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 déc. 2021

Il existe dans la région des Pouilles au sud de l’Italie une petite ville appelée Martina Franca. Dans ses jolies ruelles on y découvre un patrimoine architectural civil et religieux exceptionnel et c’est dans la campagne environnante que l’on retrouve les fameux trulli, ces habitations en pierres sèches qui attirent des touristes du monde entier. La commune est aussi connue pour abriter le festival de la vallée d’Itria qui chaque année depuis 1976 présente des opéras essentiellement français ou italiens. Elle a vu défiler des tas de musiciens plus ou moins célèbres depuis le fameux Giuseppe Aprile castrat et compositeur du XVIIIe siècle. Ici la musique est partout et y séjourner fait partie des bonheurs à partager.
Cette année-là mon ami Alexandre m’a invité à assister à l’opéra « les Pécheurs de Perles » de Bizet. Pour cette œuvre il a conçu de magnifiques décors et la représentation a lieu dans la cour d’honneur du palais ducal. Les mélomanes sont là. Nous allons nous régaler. Malheureusement au bout du deuxième acte, la pluie se met à tomber, le spectacle est interrompu, le public et les musiciens trouvent refuge dans le hall d’entrée à l’exception du percussionniste qui galère pour protéger ses timbales déjà toutes trempées. En attendant la fin de l’orage, je discute avec mon voisin. Tiens bizarre, j’ai l’impression de l’avoir déjà rencontré… Mais bien sûr, ce petit bonhomme avec son air à la Gollum n’est d’autre que Ronnie James Dio. Il n’a plus aucun cheveu au sommet du crâne mais encore quelques tifs qui pendent sur le côté. Je me présente comme un fan de la première heure, ma sincérité le touche, il m’invite demain à le visiter.
Outre le fait qu’il porte le nom d’un copain qui a mal tourné, ce type est l’un de mes chanteurs préférés. Je l’ai découvert dans le premier Ritchie Blackmore’s Rainbow sorti en 1975. En 80 j’ai fait partie du camp des pro Black Sabbath que Ronnie avait rejoint pour remplacer Ozzy Osbourne qui lui, venait de publier son album solo. J’étais parmi le public de la première tournée de son propre groupe simplement baptisé Dio et si ses histoires de dragon m’ont toujours un peu gonflé, j’ai suivi toute sa carrière, sans oublier son tout premier groupe professionnel Elf et son premier succès où il chantait d'une voix de grenouille, le hit love is all de Roger Glover. J’admire aussi le bonhomme pour son intégrité. Par exemple, il a su refuser une énième reformation avec Tony Iommi et Geezer Butler et a imposé un nouveau nom, « Heaven and Hell » à ces deux complices pour ne plus être confondu avec la période Ozzy. Il reste pour toujours un des meilleurs chanteurs de hard rock, un dieu du métal. Depuis l’annonce de son décès, il m’a beaucoup manqué.
Sauf que cette race de seigneurs ne rend pas si facilement son tablier. Comme prévu, il me reçoit chaleureusement dans « la casa di riposo » de Martina et me parle de ses futurs projets dans le bureau d’une institution qu’il a personnellement créée.
– Comme tu peux le constater, nous avons pour vocation d’accueillir des musiciens âgés qui peuvent finir leurs jours dans une maison de retraite adaptée. On peut et on doit aussi accueillir tous ceux qui sont abandonnés du public et de leurs proches et on a même quelques places pour les plus dérangés. Je vois cet endroit comme une arche de Noé musicale et médicalisée. Mon vrai nom est Ronald James Padavona, mes parents venaient d’Italie et c’est là que j’ai voulu retourner m’installer. Ne crois pas que c’est un mouroir pour rock stars oubliés. On sait encore s’amuser ! Reste, c’est bientôt l’heure du goûter, tu risques d’être très étonné.
Effectivement dans la salle à manger de cet EHPAD particulier, trône une estrade avec sono, lights et instruments installés. Déjà toute l’assemblée scande Dio en brandissant le célèbre signe des cornes avec la main, un geste apotropaïque destiné à éviter le mauvais œil, devenu grâce à Ronnie le symbole de notre allégeance au hard rock. Soudain Dieu ou plutôt Dio apparaît vêtu d’une cote de maille médiévale qui a pour défaut d’alourdir une gestuelle déjà fragilisée. Incroyable ! Derrière un revenant : Cozy Powell, un autre de mes héros, le batteur de tant de grands groupes et artistes de rock dont Jeff Beck, Michael Schenker, Brian May, Peter Green, Whitesnake, Emerson, Lake & Powell, Black Sabbath et bien sûr Rainbow où il rencontra Ronnie. Lui qui avait l’habitude d’énormes batteries, le voici derrière un minuscule kit. J’en comprends vite la raison : fini les doubles grosses caisses. Cozy a perdu une jambe dans un terrible accident de voiture ou il s’est scratché à 167km/h. Il s’en est fallu de peu mais il en a réchappé. Cela ne l’empêche pas de frapper mais sans pédale de charleston puisqu’il lui manque un pied. Les autres membres du groupe me sont inconnus. À moins que ce ne soit Francesco Di Giacomo ex chanteur de Banco Del Mutuo Soccorso qui devenu muet est passé aux claviers ? Bingo ! Encore un de ses musiciens officiellement disparus que je suis bien content de retrouver. C’est une dame de l’assistance qui m’a indiqué que le bassiste était le grand père de Renzo Rubino, chanteur pop rital et gloire locale. Elle l’a connu à vingt ans, elle ne peut pas se tromper. À la guitare, Ronnie annonce un certain Alexi Laiho ex Children Of Bodom un finlandais d’une quarantaine d’année que l’on croyait disparu, avalé par les problèmes d’alcool et qui a atterri ici incognito pour se soigner.
Dès les premiers notes de Moog, je reconnais Tarot Woman premier titre de Rising deuxième album de Rainbow sorti en 1976. S’ensuit ensuite Run with the Wolf enchaîné avec Starstruck, puis Do You Close Your Eyes. Mais c’est tout l’album légendaire qu’ils sont en train de nous jouer. Quel pied ! Le magazine Kerang avait pour une fois raison de le considérer comme le plus grand disque de Heavy Metal de tous les temps même si pour moi cela reste d’abord un magnifique album de rock puissant épique et mélodique. Malgré le temps passé, les morceaux n’ont pas vieilli et les musiciens n’ont pas démérité. Seule entorse au track-listing, le groupe choisi de jouer A Light in the Black avant le sommet Stargazer, probablement pour finir sur ce superbe effet quête du Graal quand Dio entonne I See Rainbow Rising ! Sorti soudainement de derrière les rideaux de fond de scène, l’orchestre maison composé d’une vingtaine de pensionnaires va remplacer l’Orchestre philharmonique de Munich présent sur l’enregistrement originel. La cavalcade pour violons est parfaitement interprétée et les petits vieux ont tous l’air de s’éclater. En rappel Man on the Silver Mountain que le chanteur avait enregistré avec Blackmore quand celui-ci venait tout juste de quitter Deep Purple. Avant de quitter la scène Ronnie James Dio annonce que la semaine prochaine ils joueront tout Heaven and Hell, le fameux album qui permit de réveiller un Black Sabbath fatigué. Bien que souvent édenté, ce jour là le public, déchainé, a du mal à aller se coucher.
De retour dans le local à déambulateurs qui sert de loge, le groupe se retrouve autour d’une tasse de camomille pour se calmer. Très rapidement les italiens partent rejoindre leurs mamas qui ont hâte de les féliciter autour d’un plat de pâtes aldente. Les autres musiciens se rassemblent autour de Cozy qui ne peut évidemment pas s’échapper. Je suis chaleureusement accepté car j’ai aidé le batteur à descendre de son piédestal. Tout le monde se laisse aller. Le ton est à la nostalgie d’une époque où les coulisses étaient pleines de groupies peu farouches, de roadies affairés et de types du showbiz trop souvent mielleux. Ronnie raconte l’anecdote où Ritchie fit pendre nu accroché par les épaules un tourneur allemand peu scrupuleux au-dessus du public. Cozy acquiesce, il s’en souvient, il y était. Les vieux compères ont tous les deux collaborés avec Tony Iommi et Ritchie Blackmore. Ils débattent de leurs qualités respectives : l’un avec ses deux phalanges coupées qu’il a remplacées par des prothèses plastifiées reste un prince du riff heavy et l’autre avec un caractère pénible à souhait demeure encore et toujours le géant de la guitare qu’il a toujours été. Prenant un air à la Johnny Dio, mafieux italien notoire qui l’aurait semble-t-il inspiré, Ronnie en profite pour me demander : « Tu as vu notre petit dernier, encore un gratteux qui sait jouer ! Devant mon air dubitatif, il rajoute : oui, je sais, il joue trop vite, trop de notes, trop de chiqué ! Et si on lui coupait un ou deux doigts pour lui apprendre à s’appliquer ? »

À lire en écoutant : Rainbow, Rising
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