ANGE DU ROCK N°2 : ALVIN LEE
- Patrice Villatte
- 6 févr. 2021
- 6 min de lecture

Alvin Lee n’est pas mort… Je le sais, je l’ai rencontré !
La prise de contact a été possible grâce à Leo Lyons alors en tournée avec un Ten Years After reformé que nous avions programmé à Paul B. à Massy en région parisienne. Visiblement le légendaire bassiste avait bien mangé et n’avait pas hésité une seule seconde à nous donner le numéro de téléphone de son ancien complice : « Appelle-le de ma part, ça lui fera plaisir », s’était-il empressé de me crier avant de monter sur scène.
Aussitôt dit aussitôt fait, après plusieurs échanges téléphoniques, me voici en route pour Nottingham, patrie de Robin des Bois et de son fameux shérif. Alvin m’a prévenu, il a pris sa retraite et s’est installé au vert, là où il est né le 19 décembre 1944. Rencontrer le fondateur des Ten Years After me laisse tremblant, j’écoute sa musique depuis l’âge de mes treize ans, et les questions à poser ne manquent pas.
Monsieur Lee habite un joli manoir de style gothique au fond d’un parc parfaitement entretenu. À l’évidence, il a su protéger ses droits d’auteur qui lui rapportent encore suffisamment pour entretenir un niveau de vie plutôt rock’n’roll. Il semble vivre seul et a su conserver sa belle gueule d’ange. Il est à peine vouté, a gardé ses cheveux ; son coiffeur fait bien le job puisque l’on devine à peine les effets d’une teinture discrète. Il est passé du beau gosse au retraité splendide encore capable de vous mettre minable sur le cours de tennis que l’on devine caché derrière le château entre la piscine et le garage à voitures de collection.
Il n’a jamais eu très bonne réputation, et en entrant dans son salon me revient en mémoire une anecdote : le 7 février 1998, mon groupe Swampini ouvrait pour le guitariste Texan Van Wilk au Domino à Sedan. Quelques semaines plus tôt les organisateurs du concert avait reçu le légendaire Alvin Lee. Notre héros, arrivé sur les lieux en camionnette, n’était sorti du van que pour monter sur scène, sans un mot et sans un regard pour l’équipe déconfite. Evidemment, nous étions plus sympas mais nettement moins glorieux. Lee vivait sa période « traversée du désert », son heure de gloire était derrière lui depuis longtemps et l’aigreur semblait être au rendez-vous. Il avait fait un concert à la Chuck Berry avec un groupe à peine passable et était reparti aussitôt après avoir empoché son cachet.

Pourtant chez lui, près d’une cheminée qui ronronne tranquillement, Alvin se fait charmant. Aussitôt installés, nous évoquons sa carrière, et il comprend rapidement que l’inopportun qui lui rend visite est d’abord un amateur transi et respectueux.
« – Tu veux tout savoir sur Ten Years After ? » me lance t’il habitué à des intervieweurs qui ne rêvent que de nouvelles révélations sur la vie d’une rock star…
Je lui réponds : « – Non, je veux tout savoir sur Alvin Lee ».
J’attaque aussitôt sur son double album solo In flight sorti en 1974. Alvin avait réuni un groupe d’exception avec notamment un Mel Collins majestueux, saxophoniste sorti de King Crimson. Je lui demande de ses nouvelles et lui apprends que Mel a rejoint le groupe de Robert Fripp (une énième reformation du « roi cramoisi ») pour un retour en force étonnant. Je n’insiste pas trop, sachant que les retraités peuvent être parfois amers face au succès de leurs anciens concurrents.
Pour Alvin cette période reste celle des bons souvenirs. Sa notoriété était au top, il figurait dans tous les referendums des plus grands guitaristes et il pouvait reprendre du Elvis Presley (son idole de toujours) autant qu’il le désirait.
« – Tu comprends me dit-il, ce groupe avait ce que Ten Years After n’avait pas.
– Quoi donc ?
– La légèreté, le swing jazzy dont je rêvais… Et puis je ne m’entendais plus avec les trois autres… Je ne les supportais plus.Je composais tout, j’étais devant et je devais partager le succès avec des boulets. Pas Leo Lyons, un excellent musicien que j’ai toujours apprécié, mais Chuck Churchill et Rick Lee ! »
J’en profite aussitôt pour lui demander pourquoi il a choisi ce nom, lui qui se nomme officiellement Graham Anthony Barnes.
– Une erreur de jeunesse me répond-t-il que j’ai d’ailleurs payée très chère puisque l’on me prenait pour le frère du batteur…
– Pourtant, lui dis-je, ils ne s’en sortent pas si mal avec la reformation de Ten Years After !
Là, je vois bien que le Alvin Lee pas sympa est à deux doigts de resurgir…
– Si c’est pour copier ce que je faisais, je ne vois pas l’intérêt.
De façon plus diplomatique, j’omets de lui rappeler que la formule avec Marcus Bonfanti, jeune guitariste déchainé fonctionne bien et lui permet d’encaisser des royalties plutôt appréciées.
Parti sur sa lancée, Alvin Lee poursuit enflammé :
– Chuck n’a jamais été capable de faire un chorus valable, c’est un claviériste médiocre et si je laissais Rick faire son solo de batterie interminable, c’était pour aller cloper ! Leo a été plus malin : son travail de producteur lui a plutôt réussi et son projet Hundred Seventy Split avec Joe Gooch semble plus digne.
Je lui demande alors s’il a écouté les albums de ses compatriotes.
– Jamais ! Il n’en est pas question, je préfère un bon vieux blues de Big Bill Bronzy.

À la question quel est son album favori des Ten Years After, Alvin me répond « le dernier de la grande époque Positive Vibration ». Je réagis aussitôt pour lui dire que c’est aussi mon préféré et que malgré les rayures du temps, je ne m’en suis jamais lassé.
– En 1974, le groupe était cuit, poursuit-il, on avait triomphé à Woodstock, tourné vingt-huit fois aux Etats-Unis en sept ans, j’étais le Lucky Luke de la guitare, l’homme qui jouait plus vite que son ombre. Nos albums cartonnaient, on jouait dans des stades pleins de fans hystériques – le double album live en est d’ailleurs un bon témoignage. Mais comme beaucoup d’autres groupes, nous n’arrivions pas à évoluer. C’était toujours le même répertoire, et je n’en pouvais plus de I’m going home que l’on jouait à cent à l’heure sans respirer. En studio, je proposais des chansons plus pops, plus écrites, plus arrangées genre I’d love to change the world, mais sur scène on restait un combo blues rock. Pour Positive Vibrations, j’ai tout donné, mais la sauce ne prenait plus. L’album s’est arrêté à la 81e place du classement américain. Je suis parti en solo, puis on a reformé le groupe en 1989 avec un son à la ZZ top qui évidemment ne contentait personne ».
Enthousiaste malgré tout, Je lui raconte que j’étais au concert parisien qui m’a laissé plutôt de bons souvenirs, mais je garde pour moi la déception de la tournée en solo avec Mick Taylor au début des années quatre-vingt. La formule tournait à vide et il faut dire que le comportement mutique de l’ex Rolling Stones n’aidait pas. A cette époque, Alvin Lee multipliait les disques bâclés et le fond du trou avait été atteint avec le projet Ten Years Later ; l’exemple même de la fausse bonne idée.
Quand Alvin me montre sa célèbre Gibson ES 335, (qu’il vient de retirer d’un coffre-fort d’une banque où elle était planquée depuis de longues années), je comprends ce qui cloche : il y a encore collé l’auto-collant du signe hippie « peace and love » qui semblait si branché au début des seventies. Passer du groupe favori de Wim Wenders qui a fait ses débuts en filmant son groupe préféré, au statut de loser défoncé par la vague punk et les années quatre-vingt détestées, laisse Alvin Lee dubitatif sur la destinée d’un gosse de Nottingham qui fréquenta les dieux avant de lourdement retomber.
En partant je remarque qu’il porte encore la vieille paire de sabots usés qu’il n’a jamais quittés depuis la pochette de l’album Ssssh. J’en suis tellement estomaqué que j’oublie de lui demander la signification de ce titre énigmatique d’un disque que j’avais acheté à quatorze ans et dont je ne me suis jamais séparé. Avant de nous quitter, sur le pas de la porte, Alvin m’annonce que demain il va boeuffer avec son vieil ami George Harrison.
« – Mais il est mort ! » lui répondis-je interloqué.
Sa réponse fut sans appel : « Je le vois régulièrement, il pète le feu… Il ne faut jamais croire les médias. »

À lire en écoutant : Alvin Lee, In Flight
(Re)bienvenue parmi nous Alvin !
Contente de voir ressuscitée la gueule d’ange au pays des anges. Bravo ! Et vive les sabots !