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ANGE DU ROCK N°23 : JACQUES HIGELIN

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 4 mars 2022
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 mars 2022


Jacques Higelin playing accordéon with a chicken.
© swampfactory@hotmail.com

C’est sur la tombe de Léo Ferré à Monaco que ce périple enchanté a débuté ! J’accompagnais mon camarade Cro de retour sur le Rocher. Passionné par les bagnoles, il avait participé au 18e « Rallye Monte-Carlo historique » et voulait me montrer où il s’était éclaté. A bord d’une Lancia Fulvia 1600 Hf de 1972 avec son copilote Didier, ils étaient arrivés à la 185e place du classement général, sans avoir rien cassé. Personnellement la Principauté représente tout ce que je déteste, des gens très riches qui s’entassent sur deux kilomètres carrés. L’horreur ! Au titre de compensation, je négociai : « Si on va à Monaco, on va voir la tombe de Léo » qui comme chacun sait était monégasque, et repose aujourd’hui au cimetière de la cité.


Et nous voilà devant le caveau de la famille Ferré. L’inscription est toute simple, la sépulture très sobre, sans fleurs. Rapidement, un léger malaise s’installe : mais qu’est-ce qu’on fait là ! Arrive alors un homme que je reconnais immédiatement. Son regard est le même que celui de l’enfant qui orne la pochette de l’album On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. C’est Mathieu Ferré, le fils de Léo. Je le connais de réputation car c’est lui qui gère l’héritage de son père et dirige les éditions « La Mémoire et la mer ». C’est un mec sympa qui sait d’instinct distinguer les vrais amateurs des curieux malsains que son paternel redoutait tant. On discute et hasard de la conversation, Cro évoque Jacques Higelin qu’il a bien connu et avec qui il a longtemps travaillé. Il a notamment assisté à la « fête à Ferré » aux Francofolies de la Rochelle en 87 où les deux chanteurs se sont rencontrés et ne s’en est jamais remis. Mathieu acquiesce et nous révèle l’incroyable : « C’est Jacques qui a repris la maison de Léo en Italie ». Interloqué, j’insiste : « et qui l’occupe aujourd’hui ? ». « C’est toujours Jacques. » Mathieu est un gars sérieux et je n’ai aucune raison de douter de sa parole surtout quand il rajoute :« Il me semble qu’il est en train de monter une sorte de musée sur mon pater, vous devriez aller le visiter ! »


Selon Saint GPS, entre Monaco et Castellina-in-Chianti il y a 443 kilomètres et plus de cinq heures de route. Mais avec Cro au volant, on gagne plus d’une heure. Je n’ai même pas vu la frontière ; je devais somnoler… Arrivés dans le petit village de Toscane, il nous suffit, comme nous l’a conseillé Mathieu, de demander où se trouve la maison des Ferré. Tout le monde la connaît. Au milieu d’une nature somptueuse toute en douces collines couvertes d’oliviers, de vignes et de bois se trouve au bout d’un long chemin caillouteux l’habitation que Léo avait acquise au début des années 1970. Rien d’ostentatoire, pas prétentieux pour un sou, une grosse ferme en pierre et à l’entrée Monsieur Higelin pour nous accueillir. Le fils Ferré l’a prévenu de notre arrivée. Jacques est tout sourire et nous reçoit en chantonnant Hello Dolly version Annie Cordy adaptée… Aussitôt il reconnaît Cro et se jette sur lui en l’embrassant. Sa mémoire le trahit, il confond mon copain avec un certain Laurent, l’ingé-son d’Hérouville. Cro le corrige gentiment : « Je faisais ton son sur scène à Mogador en 1981 et aussi à Bercy ». Higelin n’écoute plus, il entonne Tête en l’air, une de ses compos favorites puis par une pirouette nous invite à entrer dans la maison. Nous sommes stupéfaits ! Notre hôte a plus de quatre-vingts ans. Il ne marche pas, il sautille, il ne parle pas mais chante et est très fier de nous annoncer qu’à la différence de Léo, lui a gardé tous ses tifs. Aussitôt il se met à fredonner la Vieillesse de Reggiani qu’il mélange avec Rester vivant de Hallyday. Pour un type officiellement décédé, Jacquot a l’énergie d’un adolescent. Il nous pousse dans la cuisine où il ouvre une bouteille de Chianti classico et nous sert un grand verre sans envisager que nous puissions le refuser. Cro n’est absolument pas vexé, il est assoiffé. Moi je ne bois pas d’alcool mais quand Jacques éructe Boire un petit coup c’est agréable, je ne trouve pas le courage de le contrarier. Nous n’avons pas fini notre verre que déjà, il nous entraine pour visiter la maison.


« Quand j’ai décidé de me retirer (et il glisse deux strophes de Je suis Malade de Serge Lama puis attaque le succès de Joséphine Baker qu’il transforme en J’ai deux amours Trenet et Ferré), j’ai longtemps hésité entre acquérir la maison natale de Charles Trenet ou bien celle de Léo. La ville de Narbonne n’a rien voulu céder tandis qu’ici en Toscane, la famille Ferré a accepté. Je n’ai touché à rien et avec le temps tout s’est figé pour l’éternité. Et c’est parti pour quelques vers du classique absolu Avec le temps, va, tout s’en va…


Avec un tel phénomène, le vouvoiement est impossible, sans hésitation, je lui demande : « Et l’imprimerie tu l’as gardée ? – Venez !», nous dit-il et nous voilà galopant derrière le nouveau proprio de ce lieu magique. Dans une annexe près de la ferme, Léo avait installé une presse Offset Heidelberg qui lui servait à imprimer des participations, des petits recueils, des programmes et aussi des affiches, ce qui bien sûr m’oblige aussitôt à citer les premiers vers de l’Affiche Rouge d’Aragon. Higelin se retourne énervé ! Il n’y avait pas pensé. Maladroitement je tourne aussitôt la page et lui demande s’il lui reste de ce papier artisanal que Ferré utilisait, Jacques attaque les P’tits papiers de Régine et sort un paquet de feuillets sur lesquels je reconnais les caractères Garamond corps 6, la police d’écriture préférée du Gutenberg solitaire. Parmi tous ces trésors, un petit mot manuscrit daté de janvier 1970 qui annonce que Jimi Hendrix ne sera pas au rendez-vous qu’ils s’étaient donnés : dommage...


Pour rejoindre l’habitation, en quittant l’atelier, il nous faut passer par le jardin transformé en basse-cour avec plusieurs poules, un coq, quelques canards, plus deux paons, le tout sous la surveillance d’un chien et d’une myriade de chats.


– Et avoir un singe, y as-tu pensé ?


Jacques ne répond pas mais susurre le début de Pépée, cette complainte magnifique que Léo avait écrite pour une petite femelle chimpanzé qu’il avait adoptée. Arrivé à la strophe T'avais les oreilles de Gainsbourg, il enchaine avec La beauté cachée des laids, des laids… célébrée par l’homme à la tête de chou puis s’esclaffe satisfait de son petit effet.


Je voudrais lui parler de son passé cinéma, de sa tardive mue en rocker avec l’album BBH 75 et de sa rencontre avec Bertignac, futur Téléphone. Je me souviens aussi d’un concert à la fête de l’Huma où il s’était fait jeté. S’en souvient-il ? Je voudrais savoir quel est son album préféré, ses relations avec Mahut et Lavilliers, s’il prépare un nouvel album, une nouvelle tournée ? Mais impossible de le détourner de Léo Ferré, le seul sujet qui semble l’intéresser. « Je veux transformer ce lieu en sanctuaire, un endroit pour les vrais passionnés, ceux qui comme vous ont fait le déplacement et qui sont prêts à se battre pour la poésie. J’imagine un refuge pour tous les poètes combattants comme l’était Léo et dont je serai le gardien du temple jusqu’à la fin des temps... Pour y être accepté il faudra être capable de reciter sans tricher le texte intégral de la préface de Poète… vos papiers ! Ça éliminera d’office les frimeurs et les cinglés. On pourra même organiser des concerts. Je sais que l’équipe de La Souterraine est intéressée. Dans les années soixante-dix, Johnny devait reprendre les Albatros. Peut-être qu’il va enfin se décider. Je pourrai lui montrer comment la chanter et on demandera aux Zoo de se reformer pour l’accompagner. » Notre Jacques s’envole alors en gueulant Y a pas qu’des albatros au-dessus des cités, Y a pas qu’des albatros au-dessus des pavés. Cro de surenchérir : « Et pourquoi pas les Moody Blues pendant qu’on y est ! » C’est le déclic pour une formidable version de C’est Extra que Jacques Higelin nous offre en exclusivité. Notre convive termine sa chanson en sanglotant : « C’était un putain de génie, moi à coté, je suis rien. » Bêtement et sans malice je sifflote Je suis une mouche de Polnareff ce qui me vaut à nouveau un regard courroucé de la part de notre héros fatigué.


Il est grand temps de nous retirer car Paul Mac Bonvin, un copain suisse nous attend de l’autre côté de la frontière pour nous faire découvrir une sélection de vins du Valais. Pour le retour sur Paris, c’est moi qui conduirai. Jacques nous embrasse et ne peut s’empêcher d’entonner le point levé, les Anarchistes. Quand nous quittons la propriété, dans le rétroviseur, je le vois brailler Douce France, cher pays de mon enfance ! Salut l’artiste ! Au revoir le dernier des fous chantants !

Léo Ferré's Pépée drinking chianti.

À lire en écoutant : Annie Cordy, Hello Dolly – Jacques Higelin, Tête en l’air – Serge Reggiani, La vieillesse – Johnny Hallyday, Rester vivant – Marcelle Bordas, Boire un petit coup – Serge Lama, Je suis malade – Joséphine Baker, J'ai deux amours – Léo Ferré, L’affiche rouge – Régine, Les p’tits papiers – Léo Ferré, Pépée – Serge Gainsbourg, La beauté cachée des laids – Léo Ferré, Poètes… vos papiers – Léo Ferré, Les albatros – Léo Ferré, C’est extra – Michel Polnareff, Je suis une mouche – Léo Ferré, Les anarchistes – Charles Trenet, Douce France

 
 
 

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