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ANGE DU ROCK N°25 : FRANÇOIS BÉRANGER

  • Photo du rédacteur: swampfactory
    swampfactory
  • 1 avr. 2022
  • 6 min de lecture

François Béranger playing luth on a carpet with his dog.
© swampfactory@hotmail.com

Qui se souvient du drame de Mers El-Kébir ? Qui se souvient du 3 juillet 1940 ? Ce jour-là, après de nombreuses sommations, la Royal Navy ouvre le feu sur la flotte française réfugiée dans la rade de Mers El-Kébir dans la baie d’Oran. Résultat : 1300 marins tués ou disparus et parmi eux le frère de mon père, l’oncle Jean. Mobilisé au début de la guerre et canonnier sur le cuirassé Bretagne, il avait 21 ans. Son corps ne fut jamais retrouvé et bien plus tard, il fut déclaré « tombé glorieusement pour la France à son poste de combat » et décoré à titre posthume de la croix de guerre avec étoile de vermeil. Son père Felix, ancien combattant de 14-18 l’avait convaincu que la marine était moins dangereuse que l’infanterie… Après ce drame, mes grands-parents ne se sont plus parlés. Longtemps ma grand-mère a espéré. Peut-être que son fils avait survécu à ses blessures, peut-être était-il devenu amnésique ? Et s’il avait déserté ? En réalité, même l’armée ne sait toujours pas aujourd’hui s’il était à son poste ce jour-là. Bien des années plus tard, je découvris des photos que mon père avait prises de la baie en 1947, là où son frangin avait disparu. Peut-être que lui aussi avait espéré le retrouver.

Avec mon frère, nous cherchons toujours à savoir ce qu’il s’est vraiment passé. Nous faisons une bonne équipe ; lui c’est la tête, il fouille les archives, et moi je suis les jambes qui part sur le terrain vérifier les dires de mon aîné. Quand il me propose d’aller à Mers El-Kébir, j’y vois plusieurs avantages : primo, partir sur les traces d’un oncle phantasmé, secundo, rencontrer des gens, et tertio, me baigner dans la Méditerranée. À Oran, le loueur de voitures ne comprend pas mon attirance pour ce grand port algérien. Si la rade est magnifique, l’intérêt touristique est assez limité et quand vous arrivez par la corniche, attention à bien rester éveillé, la route est très exigüe et le danger bien réel. Il ne faudrait pas qu’un deuxième membre de la famille y reste à jamais. Après plusieurs jours d’errance à me balader sur le port, à chercher les lieux que mon père avait photographiés, le hasard me fait rencontrer un expatrié que je reconnais immédiatement. Je l’ai vu plusieurs fois sur scène, et si le temps a laissé son empreinte, c’est bien ce même visage long et un poil austère qui ornent les pochettes de ses disques que j’ai si souvent écoutés : c’est François Béranger.

Cela paraît incroyable, je viens de rencontrer un de mes artistes préférés que je pensais décédé et que je retrouve vieillard, réfugié en Algérie et tout à fait disposé à discuter. À le regarder de près, si sa peau est relâchée et tachée, il a conservé son regard malicieux. Mon air stupéfait le fait rigoler et nous nous installons sur la digue face à la mer. « Mais que faite vous là ? ». Ce n’est pas très malin, mais c’est tout ce que mon esprit interloqué trouve comme entrée en matière. « J’ai suivi la trace d’Elaine Mokhtefi, cette militante américaine anticoloniale et antiraciste qui s’était installée à Alger au début des années soixante-dix. Comme elle, je ne supportais plus le monde occidental mais à la différence de cette grande dame, le pouvoir algérien m’a foutu la paix. Je suis trop vieux pour être un danger. Je suis à la retraite ! » Comme je partage son enthousiasme pour cette révolutionnaire, j’ai lu son livre Alger, capitale de la révolution, de Fanon aux Black Panthers, c’est probablement pour cette raison que nous sympathisons immédiatement. Nous avons quelques passions en commun et je veux en savoir plus sur ce chanteur injustement oublié.

« De plus j’avais un compte à régler avec ce pays, poursuit-il. La dernière fois que j’étais venu c’était pour y faire la guerre. Est-ce que je voulais me faire pardonner, me racheter ? Suite à l’indépendance, rares sont les français qui sont restés et pourtant l’Algérie vaut mieux que tout ce qu’on en dit. Je voulais fuir mon existence d’avant, et après un long séjour caché en Italie, c’est ici que j’ai décidé de finir ma vie.

– Pourtant tu as connu le succès ! Tu étais apprécié ! » Malgré son grand âge, je remarque qu’on s’est aussitôt tutoyé. Comme souvent avec ce genre de bonhomme, le vous est déplacé, et l’humour grinçant obligatoire.


« Le succès et la galère ! Mes relations avec le showbiz ont toujours été compliquées. J’ai longtemps été le chanteur gauchiste, celui que l’on ne voulait pas entendre à la radio ou à la télé. Sous Pompidou puis Giscard, j’étais banni des médias et ça m’a bien profité… Je sortais des disques, je faisais des tournées et j’avais un public plutôt jeune qui me suivait. Mais quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, mon combat a semblé dépassé. Pourquoi se plaindre puisqu’on avait gagné ! Inutile de te dire qu’on a salement déchanté. J’ai essayé différentes formules, j’ai redécouvert les joies du tango, j’ai même eu un pseudo tube avec Mamadou m’a dit, un truc tropical qui faisait danser. Le texte dénonçait l’exploitation des immigrés. Mais personne n’a écouté les paroles, tout le monde s’en foutait, j’étais écœuré. La France s’enfonçait dans le consumérisme, les socialistes accueillaient Mickey à bras ouverts. Les chansonniers façon rive gauche étaient devenus ringards et Renaud m’avait remplacé dans le cœur de la gauche bien rangée. Le monde avait bougé mais pas dans le sens que j’espérais…

– C’est d’ailleurs le Renard qui a récupéré ton musicien le plus doué !

– Un Renard ? Plutôt un faisan ! Tu parles de Jean-Pierre Alarcen ? C’était ma période rock et c’est avec lui que j’ai enregistrés mes meilleurs disques.

– Beaucoup considèrent justement que Le Monde Bouge sorti en 1974 fut le premier album rock de la chanson française. Comment ça s’est passé, un matin tu t’es réveillé rock’n’roll ?

– J’étais plus Aristide Bruant qu’Elvis Presley, mais quand cette musique typiquement américaine s’est ouverte sur la country et le folk, ça m’a parlé. Avec ma grosse voix de titi parisien aussi peu « jolie » que celle d’un Woody Guthrie ou d’un Bob Dylan, j’ai trouvé ma place dans ce que l’on appelait à l’époque la Pop musique. Avec Jean-Pierre, on a monté un groupe vraiment balaize, j’avais un support musical idéal pour chanter des propos engagés qui respiraient le vécu et la réalité concrète dans un langage populaire, souvent argotique, sur des métriques tarabisquotées avec des rimes approximatives juste pour emmerder les coincés de l’octosyllabe et de l’alexandrin. En 75 sur l’album l’Alternative, on a enregistré un titre de 19 minutes avec un texte vraiment désespéré. Mes musicos sont ensuite partis dans un délire Jazz Rock instrumental et ça n’a plus fonctionné.

– Pourtant je t’ai vu en concert pour la sortie de Participe Présent, c’était vraiment excellent. Je t’ai revu ensuite pour Joue pas avec mes nerfs. Tu avais changé d’équipe. Une partie du public et notamment mon père se plaignait de ne pas bien entendre les paroles et que c’était trop fort. L’équilibre entre tes propos et la musique semblait moins bien fonctionner. Malgré toi, désormais tu jouais pour les familles et non plus pour les révoltés, les temps avaient changé…

The Time there are changin’ et pas en mieux ! Le meilleur était passé, les années quatre-vingt ne m’ont pas réussi et après des essais désastreux avec des synthés, je suis revenu au son de l’accordéon mais avec toujours cette même envie de gueuler contre cette foutue société. J’ai quand même réussi à placer ma version de L’Internationale sur Dure mère, un album de 1989. J’aurais bien aimé faire comme Dylan, continuer à jouer à quatre-vingt piges passées mais mon corps m’a trahi et ma mémoire se laisse aller. Au fait, il paraît que la France va voter ? Vous devriez élire Sanseverino. C’est un type bien. Moi qui rêvais de faire des chansons marrantes, lui me fait bien rigoler. Régulièrement, il m’envoie ses Cds et son album hommage à mes chansons a réchauffé mon vieux cœur d’anar repenti. »

Béranger se met alors à gueuler « Sanseverino président !», et sans attendre je me mets aussitôt à brailler Magouille Blues, un texte toujours d’actualité signé Monsieur Béranger. Après ces quelques minutes d’euphorie qui font rire les passants médusés, François me demande : « Mais tu n’es pas venu ici simplement pour me faire chanter ?

– Effectivement, je suis sur les traces d’un tonton disparu à Mers El-Kebir en 40, juste là en face de nous, répondis-je en pointant du doigt l’endroit dans la baie où le Bretagne a coulé.

– Les Rosbifs avaient bien raison de se méfier. Pour Churchill, il ne fallait pas prendre le risque de voir les navires français tomber dans les mains nazies. Figure-toi que j’ai longtemps fréquenté un certain Jean Boutron, un des rares rescapés de cette tragédie. Il était mécanicien sur le même bateau que ton oncle, il est mort à 100 ans, on se retrouvait régulièrement au café Marsa, rue des pêcheurs. On a beaucoup discuté. Il m’a toujours affirmé que tous les canonniers du Bretagne avaient été tués… » Épilogue À mon retour d’Algérie, en me promenant au cimetière du Père Lachaise, je suis passé devant la tombe de Béranger… Pas celle de François, celle de Pierre-Jean de Béranger le plus grand chansonnier populaire du XIXe siècle. Face au mausolée, un père explique à son fils, un garçon d’une quinzaine d’années, que c’est là que repose un grand poète engagé. De toute évidence, il confond les deux artistes qui par une heureuse coïncidence portent le même patronyme, je n’ai pas le cœur de le contrarier…

Luth with mai 68 stickers.

À lire en écoutant : François Béranger, Le monde bouge

 
 
 

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