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ANGE DU ROCK N°27 : ETTA JAMES

  • Photo du rédacteur: swampfactory
    swampfactory
  • 13 mai 2022
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 mai 2022


Etta James praying with boxing gloves.
© swampfactory@hotmail.com

« Et d’un pas solennel il gagna la plate-forme de tir. Avec gravité, se tournant vers elles, il bénit par trois fois la tour, la campagne environnante et les montagnes qui s’éveillaient… » : Septième phrase du premier tome de Ulysse de James Joyce.

Il y a bien longtemps je m’étais juré de ne pas mourir sans avoir lu ce chef d’œuvre de la littérature irlandaise, et enfin il y a peu de temps ma venue en Irlande m’a incité à me lancer dans la lecture de ce classique fabuleusement hermétique.


Me voici donc installé en terrasse au Cookbook Cafe à Dun Laogahaire, station balnéaire située à une douzaine de kilomètres au sud du centre-ville de Dublin. C’est une douce matinée printanière, le vent est tombé et le soleil s’est levé. J’attends, en lisant tranquillement mon pavé, face à la mer d’Irlande avec sur ma droite la fameuse tour Martello où débute la journée de Leopold Bloom et Stephen Dedalus les deux anti-héros du roman de Joyce.


Soudain, mon rendez-vous arrive ou plutôt débarque façon ouragan. Il s’agit de Kaz Hawkins, une chanteuse de Belfast que j’ai rencontrée quelques semaines auparavant à un concert qu’elle donnait dans cette magnifique salle de la banlieue parisienne que les habitués du lieu nomment Paul B. Sa prestation fut si réussie, son énergie si communicative et son feeling si palpable que tous, nous étions tombés sous le charme de la dame. Le contact fut facilement établi par l’intermédiaire des musiciens français qui l’accompagnaient. J’ai toujours aimé l’Irlande, son peuple, sa musique et sa bière et puis, comment résister à une artiste qui reprend Full Force Gale, mon titre favori de Van Morrison. Sa vision du blues me semble moderne, l’apport pop soul lui convient parfaitement et quand nous évoquons sa passion pour Etta James, elle n’hésite pas : « Si tu viens en Irlande, viens me voir, j’aurais quelqu’un à te présenter… »


Sauf que ce matin, au lieu de retrouver une Kaz flamboyante, j’ai devant moi une personne affolée, en pleurs et visiblement effondrée. Je n’ai pas le temps de l’interroger que déjà elle m’invite à la suivre. Je comprends difficilement dans ses propos noyés de larmes qu’il n’est pas question de rester dans cet endroit huppé, fief de U2, et à ses yeux minablement branchés. Non, elle m’entraine vers la tour de James Joyce qui est maintenant transformée en musée. C’est dans une dépendance de la petite forteresse qu’elle l’a installée. Nous ne passons pas par l’entrée des visiteurs mais par une porte dérobée dont elle a les clefs puis par une enfilade de pièces transformées en un confortable appartement. Nous pénétrons dans une chambre plongée dans la pénombre par de lourds rideaux tirés. Partout des bougies se consument lentement et l’air est saturé d’un encens religieusement assommant. Au milieu de la pièce : un lit où git… Etta James !


En temps normal Kaz vous parle comme le vent déchainé de l’Atlantique et rien ne peut l’arrêter. Mais là, visiblement choquée, son débit verbal est celui d’un murmure ininterrompu, elle a tant de choses à me révéler. Elle s’agenouille sur l’un des deux prie-Dieu et m’ordonne de faire de même à ses cotés au pied du corps gisant de la célèbre chanteuse apparemment décédée. Tel un curé prêt à confesser, je tente de la calmer en lui disant simplement : « Vas-y, je t’écoute mon enfant.


– Quand je me suis levée, elle vivait encore et comme chaque matin je lui ai apporté son café. Mais quand je suis partie te retrouver, j’ai bien vu qu’elle ne bougeait plus. J’ai paniqué et tu es le premier averti. Comment vais-je faire pour déclarer sa mort ? Officiellement elle nous a quitté le 20 janvier 2012 mais en réalité elle s’était réfugiée en Irlande où je l’ai recueillie et dorlotée. Nous avons tant de points en commun et je lui dois tant. Sais-tu que nous portons le même nom ? Elle s’appelle officiellement Jamesetta Hawkins et elle vient de m’abandonner. C’est ma grand-mère qui me l’a fait découvrir et c’est toujours vers elle que je me suis tournée quand ma vie dérapait. Comme Etta j’ai connu la drogue, la violence, le surpoids et la dépression. Ses disques m’ont sauvée. Pourquoi crois-tu que j’ai monté un hommage à son répertoire ? Etta est mon idole. Elle m’a raconté son enfance, sa mère qui l’a eue à quatorze ans, ses différents pères adoptifs, les maris qui la battaient et cette force du blues qui l’habitait. Pendant toutes ces années, quand je rentrais de tournée, elle me réconfortait et nous écoutions ses enregistrements en boucle. Elle m’a fait découvrir ses premiers disques avec le grand orchestre de Johnny Otis, et sa période ballades guimauves qu’elle détestait. Ses albums chez Chess Records n’ont pas pris une ride. C’est elle qui m’a conseillée d’aller en Alabama où j’ai rencontré des musiciens du studio Fame à Muscle Shoals avec qui elle avait enregistré Tell Mama son chef d’œuvre de 68, un album qui l’a faite passer de Lady Blues à Queen of Soul ! Après, il y a eu les années d’errance puis le retour en gloire et les multiples prix et récompenses. Moi, avec mon UK Blues Awards, je la faisais bien rigoler. Elle est quand même classée parmi les 100 plus grands artistes de tous les temps ! Hier soir encore, on a réécouté son dernier cd et on a pleuré.


Pendant que j’écoute Kaz, je regarde ce corps sans vie. À un moment, j’ai cru voir son visage bouger. C’est celui d’une vieille dame épuisée par une vie où les malheurs et les bonheurs se sont constamment et viscéralement étroitement entremêlés : une fille qui s’est battue pour se faire respecter, une femme survivante, à l’existence sauvage trop souvent malmenée. Elle a dû faire avec une silhouette alourdie qui a tourné à l’obésité et qui l’a beaucoup handicapée. Ce n’est que récemment que la vieillesse et la maladie lui on fait perdre du poids, la laissant prisonnière d’une enveloppe flétrie qu’elle avait bien du mal à dissimuler.


Kaz qui connaît aussi ce genre de difficultés, devinant mes réflexions secrètes choisit de m’avouer : « Il y a peu, à deux, on pouvait encore en une soirée vider le frigidaire, tu aurais vu les deux grosses en train de se baffrer !


– Parle pour toi, moi je ne suis pas grosse, je suis enrobée ! »


Miracle ? Etta James parle ! Halleluya ! Les yeux toujours clos, sa voix rauque vient de retentir, revenant de là où l’on est sensé ne jamais revenir. Kaz stupéfaite, s’évanouit et me tombe dans les bras. Ne sachant que faire, je la laisse tomber pour redresser les oreillers sous la tête de notre chanteuse ressuscitée. Parler à une morte n’est pas chose aisée. Je tente un « Comment allez-vous ? ». Etta me répond plutôt sèchement : « pas plus mal qu’hier et mieux que demain », puis tournant légèrement la tête, elle soulève une paupière fatiguée et me sourit avec un air apaisé. « Ma dernière heure n’a pas encore sonné. Il y a longtemps à Saint Louis, au concert des 60 ans de Chuck Berry, Keith Richards m’a dit : « Etta ne meurt pas ». Je lui ai répondu, ne t’inquiète pas mon mignon, en enfer il y a trop de gens qui m’attendent et le paradis n’est pas pour moi. Je suis comme le Ulysse du type qui a habité cette tour. Je dois rester vivante, je n’ai pas d’autre destinée !!! »

Les Anges du Rock, chaise prie-dieu.

À lire en écoutant : Etta James, Tell Mama

 
 
 

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