ANGE DU ROCK N°30 : PADDY MOLONEY
- swampfactory
- 24 juin 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 juin 2022

Lorient : Paddy Moloney, Mort d’une légende celte !
« Le leader emblématique des Chieftains, Paddy Moloney, est décédé ce mardi 12 octobre 2021. Il laisse de nombreux artistes orphelins. C’est un sacré monument du celtisme qui disparait ici ». Ouest-France, Loic Tissot, publié le 12/10/2021 à 18h41.
C’est en lisant le quotidien breton cador de la presse régionale que j’ai appris la mort d’un homme que j’avais rencontré une première fois vingt-quatre ans plus tôt… C’était au port de Rosslare sur le quai d’embarquement. Nous attentions tranquillement d’être invités à monter sur le navire pour retourner en France après un périple irlandais réussi. Une fois de plus l’île d’émeraude nous avait tendu ses bras accueillants mais il était temps de rentrer et nous guettions le moment où nous allions être appelés pour avancer en voiture dans l’antre du ferry qui en dix-huit heures de navigation nous ramènerait au pays. Dans la file d’attente, derrière nous, s’était rangée une belle grosse Mercedes, un modèle ancien mais parfaitement entretenu. À bord, un couple plutôt disparate, une grande dame blonde plantureuse et au volant un petit bonhomme plus très jeune dont le visage si caractéristique ne peut s’oublier : j’ai tout de suite reconnu le leader des Chieftains, Paddy Moloney !
Je connais ce groupe de musique traditionnelle irlandaise très populaire en Eire, depuis mon premier séjour en 1976. Pas particulièrement folk mais plutôt rock’n’roll, je m’étais néanmoins procuré leur cinquième album. Je me souviens avoir été attiré par la magnifique harpe celtique qui trônait au milieu de la pochette. Cela devait me rappeler Alan Stivell que déjà j’écoutais à l’époque avec intérêt. J’avais aussi rapporté le premier album du Bothy Band, groupe éphémère mais réputé chez les amateurs de musique irlandaise. Bref je savais qui était ce sir Moloney.
Lors de ce nouveau séjour j’avais comme à chaque fois, fait le plein d’artistes irlandais : Van Morrison, U2, Gallagher, Thin Lizzy bien sûr mais aussi des groupes moins connus comme Cry Before Dawn, In Tua Nua, Aslan, That Petrol Emotion, The Frames et des trucs plus folk comme Horslips, Moving Hearts avec Christy Moore et David Spillane, Clannad (coupable entre autres d’un des plus beaux duos avec Bono), et encore et toujours les Chieftains. C’est en sifflotant The Fields of Athenry une des chansons les plus populaires en Irlande, réactualisée par un ex Dubliners Paddy Reilly que le contact fut pris. En attendant l’heure du départ, nous n’avions que ça à faire : discuter. C’est ainsi que je rencontrais Paddy. Poliment j’osai lui demander s’il était bien l’homme auquel je pensais. Avec un sourire magnifique il répondit par l’affirmative. C’était bien lui, le leader, fondateur et principal compositeur de cette institution irlandaise. Depuis 1962 son groupe avait sorti quarante-cinq albums et encore il avait peur d’en avoir oublié. Il nous expliqua qu’il était né en 1938. À six ans sa mère lui avait acheté son premier tin whistle, cette fameuse flute droite à six trous, il jouait aussi de l’accordéon diatonique, et des uilleann pipes, l'instrument le plus sophistiqué de la famille des cornemuses. En raison d’un accent et d’un débit difficile à saisir pour un frenchy, la conversation fut brève mais chaleureuse, surtout que l’heure de l’embarquement retentit. Monsieur Moloney eut quand même le temps de signer un autographe pour mon fils présent qui, tout enfant qu’il était, sentit bien toute la sympathie qui jaillissait de ce musicien légendaire sensible à l’intérêt que lui portait un petit français. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette histoire ne s’arrêta pas ainsi…
Il y a six mois, je rendais visite à mon neveu Thomas. Lui et sa compagne sont installés à Bubry en centre-Bretagne pas très loin de Pontivy. Suite à de brillantes études d’ingénieur, Thomas a d’abord bossé dans l’industrie pharmaceutique et en est sorti dégoûté. Après une tentative avortée pour monter une brasserie artisanale, le couple s’est lancé dans l’élevage de poules et la ponte d’œufs frais. La ferme est à échelle humaine. Les cocottes sont élevées en plein air et la production est labelisée bio. Phénomène étrange, chaque jour vers 9h30 les poules se calment quand de l’autre côté de la haie retentit un air de flute irlandaise qui a pour effet de calmer les gallinacés. Elles se rassemblent et semblent écouter… Dès le lendemain de mon arrivée, intrigué par ce curieux rendez-vous quotidien, me voilà à l’heure dite en train de jeter un coup d’œil vers le champ voisin où effectivement je découvre le joueur de flûtiau, étrange personnage mi druide mi retraité mais toujours souriant. Me tapant sur le front, je me dis : « Mais bien sûr, je connais ce type-là ! ». Vous l’avez compris, c’est Paddy ! Dire qu’il me reconnaît serait présomptueux, mais quand je lui raconte notre première entrevue au siècle précèdent, il acquiesce plus par politesse que par conviction et aussitôt assis sur un muret de pierre nous conversons.
Je lui donne des nouvelles de mon fils qui aujourd’hui est un musicien ouvert à toutes sortes d’influences musicales et pas spécialement irlandaises. Notre héros semble intéressé et avoue en rigolant qu’il ne se sent pas responsable de la passion de mon enfant pour cette vie de troubadour… Je l’interroge sur les meilleurs souvenirs de sa longue carrière si riche et si captivante. Je m’attends à des révélations sur la rencontre historique des Chieftains avec le pape Jean-Paul II ou sur leur tournée en Chine où ils jouèrent sur la Grande Muraille. Comment s’est passé leur duo avec l’astronaute canadien Chris Hadfield alors qu’il était à bord de la Station spatiale internationale ? Et ce concert dans le Capitole à Washington ? Et bien non, Paddy me raconte que son meilleur souvenir, c’est ce concert au Grand Opera House de Belfast où le premier août 1991 ils furent rejoints sur scène par Roger Daltrey, la voix des Who, pour plusieurs airs traditionnels, plus une version de Behind Blue Eyes à pleurer.
« Et votre rencontre avec les Rolling Stones ?
– Mick Jagger et Keith Richards avaient apprécié les disques que nous avions enregistrés à Nashville avec les grands de la musique country. Ils voulaient participer à notre nouvel album de duos où Sting, Sinéad O’Connor, Mark Knopfler, Ry Cooder, et Tom Jones étaient déjà annoncés. C’est Marianne Faithfull que nous avions aussi invitée qui a servi d’intermédiaire et comme vous le savez, ils ne peuvent rien lui refuser. Et nous voici donc en studio avec les Stones pour enregistrer le traditionnel The Rocky Road to Dublin. Ron Wood et Charlie Watts étaient là et on s’est beaucoup amusés. On a aussi beaucoup bu et le résultat fut disons plutôt… anecdotique ! Savez-vous qu’à la même époque nous avons aussi enregistré un titre avec Frank Zappa mais celui-ci est mort juste après et nous ne l’avons pas publié.
– Sur cet album The Long Black Veil, il y avait aussi Van Morrison !
– Exact, avec Van nous sommes frères de sang et l’album que nous avons enregistré ensemble en 1987 le bien nommé Irish Heartbeat, reste l’un de mes préférés. Mais si les Rolling Stones sont des gentlemen, Morrison reste une tête brulée avec qui il est difficile de travailler. »
Étonnant, cet homme de plus de quatre-vingt ans n’a rien perdu de sa vivacité et ses souvenirs sont intacts. Je me régale à l’écouter, mais je ne veux pas abuser. On se donne rendez-vous le lendemain matin pour un réveil tout en flute et en douceur autour de nos poulettes préférées. Problème, Paddy Moloney ne s’est pas présenté. J’ai attendu longtemps mais il n’est pas venu. Était-il malade ou simplement fatigué ? Pour faire le malin ou peut-être aussi pour le réveiller, j’eus la bien mauvaise idée de sortir mon Bodhran pour rassembler les poules en espérant moi aussi les apaiser. Ce fut l’effet inverse ! Au son de mon tambour les cocottes effrayées se dispersèrent en gloussant bruyamment et mon neveu Thomas m'avoua ensuite que dans les jours qui suivirent, la ponte en œufs frais avait subitement diminué…
Merci à Roxanne et à Mélanie pour l’inspiration.

À lire en écoutant : The Chieftains, An Irish Evening
The Chieftains, The Long Black Veil
Van Morrison & The Chieftains, Irish Heartbeat
Comments