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ANGE DU ROCK N°32 : KEITH MOON

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 16 sept. 2022
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 sept. 2023


Keith Moon with a hat.
© swampfactory@hotmail.com

On rencontre de drôles de gens à Redondo Beach, station balnéaire située dans le comté de Los Angeles, dans l'État de Californie, aux États-Unis… C’est sur sa célèbre jetée en forme de fer à cheval que j’ai découvert Tommy…


Ce n’est pas la première fois que je vois un batteur de rue mais celui-là est vraiment barré. Il frappe comme un dément sur un kit de batterie qu’il a lui-même fabriqué. Sa descente de toms est en bidons, sa caisse claire en carton et par-dessus trônent deux minuscules cymbales toutes cabossées. Plus étonnant, il s’amuse à interpréter tous les plans de batterie les plus fameux et demande au public de deviner quel est le morceau joué. Aucun mal pour reconnaître le poum poum tack de We Will Rock You de Queen, ni l’intro furieuse du Rock’n’roll de Led Zeppelin. Le public attentif démarre au quart de tour quand Tommy attaque à la cloche le début de Honky Tonk Women des Rolling Stones, puis enchaine sur le charley Smoke on the Water de Deep Purple. D’autres personnes confondent la célèbre partie de batterie du Sunday Bloody Sunday de U2 avec le tchou toucoudoudoudou tchi de Come Together des Beatles. Mais le plus extra reste sa version de Won’t Get Fooled Again des Who. Il commence par chantonner « We ‘ll be fighting in the streets » puis mime le glouglou du synthé… Ensuite c’est une explosion de roulements sur les toms si caractéristiques de Keith Moon le batteur légendaire depuis longtemps décédé : tagadatagada tagadatagadada et cætera… Bien sûr Tommy finit en hurlant « Nous ne nous ferons plus avoir ! » en anglais dans le texte. Étonnant que ce jeune black ricain ait tout pigé de ce classique du rock typiquement britannique ! Comment cela lui est-il venu ? Je n’ai pu m’empêcher de l’interroger et sa réponse m’a assommé… « C’est un vieux dingue anglais du nom de Moon dont je m’occupe au Kensington Redondo Beach, une maison de retraite pas très loin d’ici au 801 S. Pacific Coast Highway. Il ne cesse de répéter qu’il est une célébrité et un batteur renommé. Personne ne le prend au sérieux mais il m’a appris des plans de batterie et je suis devenu son ami. Si tu reviens demain, après mon show je suis de nuit à l’Ehpad, je te le présenterai. »


« Mister Moon j’ai de la visite pour vous ! » C’est ainsi que Tommy m’introduit dans l’appartement médicalisé de la résidence de luxe pour richards fatigués. Près de la baie vitrée, avec vue sur la plage et toute son activité, sur une sorte de méridienne baroque est avachi un étonnant personnage. C’est un petit bonhomme barbu et ventripotent, vêtu d’une robe de chambre très chic ne laissant apparaître que deux gros mollets blancs et poilus. Je suppose que dessous il est tout nu. Étrange détail, sous un chapeau melon noir, un postiche mal ajusté lui donne un air de nazi décati. De plus il utilise un monocle pendu au bout d’une chaine en or qui ne cesse de glisser et un sonotone difficile à dissimuler.


« Si vous êtes venu rencontrer une vraie rock star, vous êtes bien tombé ! » me lance t’il en m’indiquant un siège où m’installer. Aussitôt une explosion retentit sous mon fessier me faisant bondir sans me blesser. Mon hôte éclate de rire et me tend une poignée de main qui s’avère être un gadget farces et attrapes qui m’envoie une petite décharge électrique… suffisante pour me faire à nouveau sursauter. « Je suis Keith John Moon né le 23 aout 1946 à Wembley, citoyen britannique expatrié, me lance t’il hilare ! On a voulu me faire disparaître en 1978 mais c’est raté ! « Moon the Loon » est toujours vivant et toujours prêt à déconner ! » En me parlant, le cinglé agite ses bras comme s’il était en plein solo de batterie. Il interrompt constamment ses propos par des onomatopées imitant les tambours à une vitesse surprenante pour un homme de son âge. Puis subitement, sur un ton de confidence il déclare : « C’est Ringo Starr qui a tout manigancé ! Il voulait me remplacer dans les Who. Pourtant avec son pauvre tack poum, il était mal placé. Incapable d’assurer, il a imposé son fils plus doué, dont je suis le parrain soit dit en passant. (Je n’ose pas l’interrompre et lui rappeler que Zak Starkey le fameux fiston n’avait que treize ans l’année où Keith disparut et que c’est bien plus tard qu’il occupa le poste de batteur tant convoité…). « Roger Daltrey a participé au complot contre ma personne car il m’a toujours reproché mes dépenses inconsidérées et mon volume sonore trop élevé. Le pauvre chéri, ça l’empêchait de chanter ! Pete Townshend a laissé faire malgré notre soi-disant amitié. Peut-être avait-il déjà en tête de me remplacer par son pote des Small Faces Kenney Jones. De toute façon à cette époque, la seule chose qui l’intéressait était de casser des guitares. Ces enfoirés du magazine Rolling Stone m’ont classé deuxième batteur de tous les temps derrière John Bonham. Mais je suis le meilleur ! Je suis Keith Moon Ier ! D’ailleurs ils me font bien rigoler avec leurs analyses de style. Décortiquer mon jeu de batterie, le transcrire sur partitions et pourquoi pas l’enseigner à l’université, c’est oublier l’essentiel : la spontanéité. Dans tous les disques des Who, j’ai joué sans réfléchir, à fond, sans jamais me répéter. Il n’y a que pour le dernier album Who are you que Townshend m’a obligé à me calmer et à jouer plus carré. Bon c’est vrai, à l’époque j’avais un peu abusé, mais je savais toujours cogner même si parfois j’accélérais. Le groupe se méfiait de moi depuis l’affaire du somnifère pour cheval… C’est un spectateur qui m’avait refilé un cachet avant de monter sur scène. En plein concert je me suis évanoui, foudroyé. Pete a demandé s’il y avait un batteur dans la salle et c’est un certain Scot Halpin qui a pris ma place. Le pire c’est qu’ensuite à chaque concert des amateurs espéraient me voir m’effondrer pour me remplacer. Les batteries explosées, les hôtels saccagés, la facture de la Rolls-Royce que j’avais balancée dans la piscine, tout, ils avaient tout supporté y compris l’accident de voiture qui avait provoqué la mort de mon pote Neil Boland. Mais après ce concert raté la confiance s’est brisée. »


Le ton de sa voix a brutalement changé et des larmes coulent sur son visage effondré. Keith passe instantanément du gai-luron au clown triste déballant ses rancœurs passées. « Je suis le seul membre des Who qui ait foiré son album solo ! La faute en revient aux Beach Boys que j’adorais et que j’ai trop voulu imiter. La critique n’a pas supporté ma voix. Beaucoup voulait me voir battre, moi je voulais chanter ! J’avais adoré brailler dans notre opéra rock, pourquoi ne pas persévérer ? J’étais pourtant bien entouré. Près de soixante musiciens dont Ringo mon meilleur pote à l’époque, ont participé aux séances mais ils étaient tous bourrés. Bowie est passé et John Lennon m’a donné une chanson mais c’était sa plus mauvaise. J’ai aussi repris notre premier hit the Kids are alright mais ma version d’alcoolique non repenti n’a pas supporté la comparaison avec celle de Roger. La réalité c’est que le monde manque d’humour ! Personne n’a compris le titre de l’album et la référence à l’expression Mooning qui veut dire afficher son cul pour choquer. La pochette intérieure réversible pouvait se retourner et faire apparaitre mes fesses à la fenêtre de ma Limousine. La compagnie de disques ne voulait rien savoir et j’ai imposé cette couverture à coups de hache sur le bureau du type de MCA. Le disque a été un fiasco et j’ai perdu mon groupe, ma femme, mon enfant, mes amis. Je me suis aussi fait piquer mon hôtel à Chipping Norton dans ma verte Angleterre. Bou-ouh, Bou-ou-bouh… Je veux y retourner ! Je veux rentrer à la maison, hurle-t’il en sanglotant, visiblement désespéré. »


Pour lui remonter le moral, je ressors mon anecdote favorite : « Quand on me pose la question classique : tu es Beatles ou plutôt Rolling Stones ? je réponds toujours : je suis Who ! ». « WOUIN ! WOUIN ! » Keith ne cesse de pleurer. Je lui rappelle alors que l’album Who’s next reste le meilleur album du rock’n’roll et si je lui dis ça, ce n’est pas pour lui faire plaisir, c’est une vérité. « Merci, c’est gentil » me répond-il sans s’arrêter de chialer.

Après lui avoir tendu un mouchoir pour qu’il se mouche, ne sachant plus que faire, innocemment, j’évoque John Entwistle son Who favori, le meilleur bassiste, son vieil ami. Malheureux que n’ai-je osé dire ! Furieux il me répond à nouveau tout excité : « Depuis qu’il est arrivé en 2002 ce sale type m’accuse d’être à l’origine de sa surdité, mais c’est lui qui nous a rendus sourds avec son jeu de basse pachydermique, ce n’est pas moi ! Allez le rencontrer si vous voulez, mais moi depuis qu’il est devenu mon voisin de palier, je ne veux plus lui parler ! »

Quand Tommy me fait sortir de l’institut, je remarque une plaquette publicitaire qui indique : Exceptional Dementia Care : établissement spécialisé dans l’accueil des patients atteints de démences précoces !

Moon The Loon playing air drum.

À lire en écoutant : The Who, tous les albums de My Generation à Who are you.

 
 
 

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