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ANGE DU ROCK N°34 : TONY JOE WHITE

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 14 oct. 2022
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 oct. 2023


Tony Joe White fishing in the swamp
© swampfactory@hotmail.com

Mon rendez-vous précise 5 : 00 PM, La Provence 25020 U.S. Highway 190 Lacombe, Louisiana 70445. Sur une carte, car je navigue à l’ancienne, j’ai repéré : au nord de la Nouvelle Orleans, s’engager sur le Lake Pontchartrain Causeway Bridge, en réalité une double chaussée parallèle qui fut longtemps le plus long pont du monde et qui permet de traverser les trente-huit kilomètres de cette grande étendue d’eau saumâtre que les indiens nomment Okwata (eau vaste) mais que les américains appellent le lac Pontchartrain. Arrivé sur la berge à Mandeville prendre à droite sur la 190 puis passer le Fontainebleau State Park et avant Lacombe un panneau indique La Provence restaurant français. On ne peut pas se tromper !


Un mois plus tôt, lors du vingt-neuvième Cognac Blues Passions Festival, au sortir d’une prestation exceptionnelle, Marcus King, jeune étoile montante du rock sudiste, m’avait vendu la mèche. Grace à Dan Auerbach des Black Keys, il avait participé au dernier album de Tony Joe White Smoke from the Chimney. « Un album posthume », avais-je précisé ! « Posthume mon cul ! », m’avait-il répondu et suite à une soirée arrosée du meilleur Cognac servi à volonté, Marcus m’avait refilé l’adresse de ce restau louisianais où Tony avait ses quartiers d’été. C’était sa cantine, je ne pouvais pas le louper.

Ainsi me voici face au Swamp Fox qui sous son large Stetson noir sirote un Merlot de 2012 du domaine Tangley Oaks, visiblement servi trop frais pour ne pas dire glacé. Me voyant débarquer, il se souvient que jadis je l’avais programmé dans une salle de la banlieue parisienne.

Et puis notre homme aime les frenchies. De sa grosse voix grave il m’invite à m’assoir et me rappelle que c’est en France et non aux États-Unis qu’il a eu son premier succès avec Soul Francisco en 1969. Il était très copain avec Joe Dassin et avait chanté en duo avec Johnny Hallyday ! Effectivement nos deux américains de cœur si ce n’est de naissance avaient interprété le grand succès de Mister White Polk Salad Annie.


C’est aussi pour ce grand classique que je suis venu le rencontrer. Je considère ce titre comme le meilleur rock jamais écrit, la chanson numéro un qu’il faut avoir absolument écoutée avant de crever. Tony l’a enregistrée en 68 avec les fameux musiciens du studio Muscle Shoals. Sortie en single, elle apparait ensuite sur son premier album Black and White publié un an plus tard. Considérée d’abord comme un échec par la maison de disque, la version d’Elvis Presley l’installe au panthéon des meilleures chansons publiées. Plus tard, Tom Jones, Johnny Cash, Los Lonely Boys, Jimmie Van Zant et d’autres encore reprendront ce tube en or. Plus récemment les Foo Fighters ont balancé une nouvelle version avec Tony en invité.


Mais de quoi parle t’elle et qu’est-ce que cette fameuse salade ? « C’est d’abord une chanson sur la vie d’une jeune fille pauvre du sud rural des États-Unis. Mais elle est quasi autobiographique, une chanson près de l’os, réaliste et poétique. Je viens du nord de la Louisiane, une terre de marécages et de champs de coton. Souvent nous n’avions à manger qu’un plat à base de Pokeweed, une plante toxique sauf si on sait la préparer, et ça m’a inspiré. C’est une sorte d’épinard. Pas sûr que notre chef ici connaisse ! Avec ce titre je suis devenu le maitre du Swamp rock ! De façon absolument pas préméditée j’ai inventé un nouveau mélange fait de rock, de blues, de country, de boogie et de musique zydeco qui nous vient des descendants cajuns français. Mais je n’ai pas chanté que la gastronomie locale, me dit-il en souriant. L’errance est un thème qui m’a toujours inspiré. Ça a plu à Brook Benton qui a fait de mon A Rainy Night In Georgia un succès. Puis il y a eu Tina Turner ! La première fois que nous nous sommes rencontrés, elle a éclaté de rire, elle pensait que j’étais noir. Elle adore mes chansons et n’a qu’un seul défaut, celui de me faire trop bosser. Elle en veut toujours plus, me réclamant sans cesse de nouvelles compos. Grace à elle, j’ai fréquenté Joe Cocker, Éric Clapton, Mark Knopfler et même J.J. Cale qui s’est avéré être encore plus paresseux que moi. J’ai pas mal gagné, de quoi justement arrêter de tourner. Quand en 2018 mon cœur a cédé, la presse a annoncé mon décès. Pourtant cette saleté a redémarré mais je n’ai pas démenti ! » m’annonce t’il en pointant du doigt son torse fatigué.


« Désormais, je peux me reposer. Le gars des Black Keys m’a demandé l’autorisation d’utiliser mes pistes de voix sur des titres inédits, je l’ai laissé faire, c’est plutôt réussi et moi je touche les royalties. » Derrière le ton placide et réservé, je devine une nostalgie et même quelques regrets. Tony n’est pas le genre à se confier mais il m’avoue se sentir abandonné.


« Tu sais c’est dur de se retrouver seul après avoir connu le succès. J’en parlais avec Tina il y a peu. Elle se rappelait qu’au plus fort de son succès, elle s’était laissée approcher par un fan français. Elle l’avait remarqué dans la foule à un de ses concerts dans le sud de la France et l’avait fait chanter. Le lendemain il était au premier rang dans la ville suivante de la tournée. Après le show elle l’avait fait venir backstage pour le remercier pour les fleurs qu’il lui avait apportées. Ils avaient sympathisé. Plus tard, le fan s’était rendu à Londres et ensuite à New York pour tenter à nouveau de la revoir. Pour Tina, il n’était pas question de pousser cette relation plus loin mais elle en était sortie quelque peu perturbée. Elle lui écrivit une gentille petite lettre et je crois me souvenir que ce « French fan » est cité dans les crédits de l’album live de l’époque. Ces rencontres insolites sont le quotidien des musiciens sur la route, et de cette anecdote je devais en faire une composition. Je ne sais plus pourquoi cela ne s’est pas fait. J’ai connu ces moments de solitude après le concert dans des chambres d’hôtel tristes à pleurer. Mais en même temps j’avoue qu’aujourd’hui je pourrais rempiler. »


La voix de Tony s’est transformée en murmure et je n’ose l’interrompre pour lui avouer que cette histoire de fan de Tina, je la connais. Invraisemblable me dira-t-on ? Et pourtant, cet admirateur transis, c’est mon copain Jean-Benoît. Nous étions ensemble à ce fameux concert où il chanta. C’était au Zénith de Montpellier le 26 mai 1987. Le concert suivant eut lieu le lendemain au Palais des sports de Lyon. Vingt-quatre heures plus tard en remontant sur Paris, nous l’avions récupéré tout chamboulé par cette rencontre inopinée. Qu’est-ce qu’on a pu le charrier et le questionner ! Que s’était-il passé dans les loges ? Comment était-elle habillée ? Allait-il l’épouser ? Quand notre ami reçut la fameuse lettre signée Tina Turner, nous n’avions plus qu’à la fermer.

À la réflexion, cette histoire est une belle illustration de la solitude des rock stars. Tony Joe White aurait pu en faire une jolie chanson. Dommage !

The Swamp Fox eating a fish.

À lire en écoutant : Tony Joe White, Black and White.

 
 
 

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