ANGE DU ROCK N°35 : GREG LAKE
- swampfactory
- 28 oct. 2022
- 7 min de lecture

Welcome back my friends to the show that never ends
We’re so glad you could attend
Come inside! Come inside!
Stupéfiant ! En rentrant dans cette boutique, aussitôt retentit cette chanson mille fois entendue et toujours aussi géniale à écouter ! Ce n’est pas la même instrumentation puisqu’il s’agit là d’une version à capella. Mais c’est bien la voix de Greg Lake du fameux groupe Emerson, Lake & Palmer.
Je suis arrivé la veille à Gênes avec l’intention de visiter le magasin de Black Widow Records sur la Via del Campo dans la fameuse cité italienne. A l’exception de son pont viaduc où passe l’autoroute A 10, j’aime tout dans cette belle capitale de la Ligurie. C’est d’abord un port et j’adore les ports et son histoire est d’une richesse incroyable. Elle fut antique puis république, puissante puis décadente. Ses ruelles étroites, ses places multiples et ses palais incroyables font de cette ville une de mes préférées ; et je ne vous parle pas de la cuisine…
Plus surprenant, c’est aussi l’une des capitales du Rock Progressif et plus particulièrement de l’une de ses branches les plus dynamiques : le Rock prog italien. Black Widow, petite échoppe ouverte depuis 1990, située dans une ruelle du quartier africain, s’est spécialisée dans ce fameux rock progressif, mais aussi dans le rock psychédélique, le hard rock et le folk dark gothique. Nous sommes accueillis par une équipe qui vend vinyles et CDs aux clients qui connaissent la valeur de ces chapelles musicales réservées à des initiés. On pourrait imaginer que l’endroit est tenu par de sombres individus tatoués, cloutés et sectaires. Pas du tout, ce sont des gens charmants, accueillants et passionnés. Des bacs à disques et un comptoir où il fait bon discuter occupent la pièce et tout autour, des exemplaires d’albums collectors et de gadgets vintages trônent derrières des vitrines. Ce n’est pas seulement un magasin spécialisé dans la réédition de chefs-d’œuvre bizarres et oubliés. C’est aussi un label qui tire son nom d’un obscur groupe de hard britannique porté sur le satanisme et que l’on confond trop souvent avec Black Sabbath. C’est de l’arrière-boutique que sont envoyées à travers le monde les dernières productions de cette étrange maison de disques : Delirium, Jacula, Il Tempio Delle Clessidre, Cherry Five, Goblin, Universal Totem Orchestra et je ne cite que mes préférées, sont les fers de lance de cette fameuse école italienne produite par nos amis génois. Ils distribuent aussi les albums de Nik Turner, l’âme tordue de Hawkwind ou encore Arabs in Aspict venu de Norvège et proposant un Heavy Prog branché seventies, plus un tas d’autres groupes plus ou moins obscurs mais néanmoins très recommandables. C’est depuis cette pièce encombrée de cartons prêts à être expédiés qu’a retenti cette voix que j’ai immédiatement reconnue. Les gars de Black Widow remarquant mon intérêt m’expliquent qu’ils viennent de la signer sur leur label et m’annoncent : « Si tu veux, on peut te présenter ! ».
Parler à un mort, quelle drôle d’idée ! Et pourtant me voici devant un Greg Lake ressuscité. Je pensais qu’il était mort en 2016 six mois après la disparition de son compère Keith Emerson. Et bien non, il est là, bien vivant, même si son obésité trahit une santé détériorée. Vêtu d’un jean clair, d’une ample chemise et d’un gilet ouvert, monsieur Lake est un gentleman avenant face à un intrus désireux de le questionner. Mais que fait ‘il en Italie ? « J’adore ce pays et le soleil de la Méditerranée semble être un excellent remède à mes problèmes à condition de ne pas abuser des délicieuses crèmes glacées. De plus l’Italie a toujours apprécié ce fameux rock progressif que moi et quelques autres ont inventé. Ce n’est pas nouveau ! Dès 1973 je trainais avec des groupes italiens comme Banco Del Mutuo Soccorso et j’ai signé Premiata Forneria Marconi pour deux albums sur notre label Manticore. Récemment j’ai voulu relancer ma carrière. Les maisons de disques Inside-Out, d’origine germano-américaine et Frontiers Records basé à Naples m’ont fait des propositions intéressantes. Mais j’ai préféré signer avec Black Widow, puisque désormais je vis ici et ce sont des gens que j’apprécie. »
Pour me rendre moins invasif et plus sympathique, je commence par lui annoncer que j’aime ses albums solos sortis au début des années quatre-vingt. « Les deux disques que j’ai fait avec Gary Moore ? Pourtant vous n’avez pas été très nombreux à les acheter. Je voulais un son plus rock mais ça n’a pas marché. » J’ose lui avouer : « Je dois être aussi un des rares amateurs à encore écouter le double album Works I sorti en 77, et le concerto de Emerson en face A a été pour moi une belle porte d’entrée dans l’univers de la musique dite classique.
– Et notre version de Pictures at an Exhibition de Modest Moussorgski qu’en avez-vous pensé ?
– Je l’ai adorée ! Je la réécoute régulièrement et pour l’anecdote, tout jeune ado, je suis allé seul à Paris voir le film qui en a été tiré. Je n’avais trouvé personne pour venir avec moi… Si j’étais trop jeune pour assister aux concerts de la grande époque, je me suis rattrapé en 92 pour votre tournée de reformation mais là aussi personne pour m’accompagner. J’étais au premier rang et je n’ai rien loupé. Vous étiez impérial et Keith a ressorti ses couteaux pour maltraiter son orgue. Seul bémol, je n’ai pas retrouvé le son de batterie génial de Carl Palmer. Les années quatre-vingt étaient passées par là et votre compère jouait désormais plus raide et moins souple qu’auparavant.
– C’est vrai, la décennie eighties ne nous a pas réussi. A la différence de Yes ou de Genesis, nous n’avons pas su nous adapter. La presse de l’époque ne cessait de nous harceler, nous étions devenus des dinosaures trop lourds pour évoluer. Notre tentative de renaître en Emerson Lake & Powell en 86 avec Cozy à la batterie n’a pas bien fonctionné. Il avait joué avec Jeff Beck, Blackmore dans Rainbow, Whitesnake, il était plus heavy que nous. Le coté pompeux ne lui faisait pas peur, bien au contraire. Peut-être aurions-nous du insister ? Je me demande ce qu’il est devenu. Déçu, Keith a retrouvé Carl dans un projet nommé Three qui n’a pas non plus su s’imposer. Robert Fripp avait raison de vouloir voyager plus léger. En 73 en Virginie notre scène s’effondra à cause des deux tonnes et demi de la batterie et des cinq cents livres du Moog Modular difficilement manipulable comme une « Norman Cabinet » … Pire, notre tournée avec un orchestre symphonique complet nous a complètement plombé. C’était la fin de nos belles années. »
Mister Lake nous dit ça en souriant apparemment sans trop de regret et sans nostalgie envahissante. J’en profite pour remonter le temps. « Est-ce vrai qu’avant de rejoindre King Crimson en 69 vous n’aviez jamais touché une basse ?
– Faux ! Avant je jouais dans les Gods le groupe fondé par Mick Taylor et Ken Hensley et j’étais déjà bassiste mais mon premier instrument fut effectivement la guitare.
– Et Jimi Hendrix, est-ce exact qu’il devait vous rejoindre transformant ainsi votre projet de trio en quatuor ?
– Pour vous répondre, il me faut remonter aux origines d’Emerson Lake & Palmer. J’avais rencontré Keith en 69 au Fillmore West de San Francisco. Il tournait avec son groupe The Nice et moi avec King Crimson. Nous nous sommes bien entendus et comme beaucoup de musiciens à l’époque, nous rêvions d’en finir avec la pop des sixties. Nous voulions créer une musique plus profonde, plus sérieuse et moins formatée. Il nous fallait un batteur. Le premier sur la liste fut Mitch Mitchell le batteur de Hendrix et effectivement nous avons évoqué la possibilité de les recruter tous les deux. Fripp était aussi intéressé mais c’est jouer à trois qui nous excitait. Le challenge est plus dur à relever, on n’a pas le droit à l’erreur, il ne faut pas se planter. Palmer venait de quitter Atomic Rooster, il était prêt à relever le défi. Neuf albums plus tard (tous certifiés disque d’or aux États-Unis, quarante-huit millions d’exemplaires vendus à l’international), nous nous retrouvâmes en 2010 au High Voltage Festival de Londres pour un dernier concert. Sans les problèmes dégénératifs des nerfs de la main droite de Keith nous aurions pu continuer, mais l’histoire s’est arrêtée là.
– Merci pour Tarkus, Trilogy et Brain Salad Surgery ! entonnent ensemble les gars de Black Widow. »
Opinant de la tête, je partage leur enthousiasme car je considère ses trois disques d’Emerson Lake and Palmer comme des classiques indémodables et je rajoute : « n’oublions pas l’album In the court of the Crimson King du génial King Crimson que vous avez magnifiquement interprété.
– Et que Pete Townshend a qualifié à sa sortie en 69 de chef d’œuvres de l’étrange ! rajoute Greg visiblement flatté.
– Justement n’avez-vous pas regretté d’avoir quitté si rapidement ce groupe que beaucoup considère comme l’acte de naissance du rock prog ?
– Pas vraiment, l’appel du trio était plus fort, mais j’avoue que quand John Wetton a repris le poste de chanteur bassiste, j’ai été rassuré, il était plus qualifié que moi pour servir la soupe à Robert Fripp qui reconnaissons-le est un personnage difficile à contenter. » À propos de son ancien ami d’enfance nous en restons là, Greg Lake n’ayant pas trop envie de s’apitoyer. « Non mon seul regret c’est de ne pas avoir pu intégrer les Who. Quand John Entwistle est mort en 2002, Pete m’a fait venir en studio pour enregistrer Real Good Looking Boy, un inédit qui est sorti sur une de leur compilation. J’avais espéré rester mais cela ne s’est pas fait. « C’est la vie » conclut-il en français dans le texte. Greg empoignant alors sa guitare se lance dans un de ses titres les plus réussis, repris d’ailleurs à l’époque par notre Johnny national.
… Oh, oh, c’est la vie Oh, oh, c’est la vie Who knows, who cares for me…

À lire en écoutant : Emerson Lake and Palmer, Welcome back my friends to the show that never ends.
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