ANGE DU ROCK N°38 : TAYLOR HAWKINS
- swampfactory
- 9 déc. 2022
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 déc. 2022

Hi ! Hi ! Oh ! Oh ! Ah ! Ah ! Irrésistible ! Quand Natalia s’esclaffe tout le monde rigole. Son rire est entrainant et communicatif. Ce jour-là dans un des plus célèbres clubs de Colombie, le San Café de Bogota, tout le monde se fend la poire devant la retransmission en direct et sur grand écran du Taylor Hawkins Tribute Concert qui a lieu au même moment au Stade Wembley à Londres. La liste des musiciens invités est pléthorique et les changements de plateau plutôt ennuyeux. Après avoir vu défiler pendant près de six heures le braillard d’AC/DC, le James Gang reformé, des survivants de Rush de Queen et de Led Zeppelin, plus une horde de batteurs rendant hommage à leur confrère disparu, voici que Sir Paul McCartney, vieux copain des Foo Fighters, attaque par surprise Oh Darling, un titre jamais joué sur scène qu’il interprète les yeux dans les yeux avec Miss Chrissie Hynde des Pretenders. Ici aussi l’assistance présente entonne le refrain et réagit bruyamment à la cérémonie organisée par Dave Grohl en l’honneur de son cher copain décédé le 25 mars 2022 à l’hôtel Casa Medina à Bogota à l’âge de cinquante ans.
Surpris devant un tel enthousiasme et étonné par ce manque total de respect pour un disparu récent, je glisse dans l’oreille de Natalia : « Je ne te savais pas tant portée sur le Rock’n’roll Circus !
– Un tel rassemblement de rock-stars est quand même impressionnant et si ici on est plus branché sur les percussions latines, j’étais une ado dans les années quatre-vingt et je n’ai rien loupé de la pop et du rock ! Tu es choqué de nous voir tous hilares ? Et bien viens avec nous au concert ce soir et tu comprendras… »
Effectivement quelques heures plus tard, la foule est au rendez-vous se massant pour rentrer au Quebra-Canto, salle salsa incontournable, ouverte depuis 1979 et qui accueille ce soir la formation de Natalia : Natikumbata. Les amateurs sont venus nombreux écouter cette fusion afro-latine faite de rythmes du Pacifique colombien, de tambours bâta mélangés à des pratiques de Santeria, version cubaine du culte Voodoo haïtien, le tout assaisonné de synthés et de cuivres funkys. Les rythmes sont irrésistibles et les arrangements sophistiqués avec trônant en majesté derrière ses tambours, notre maîtresse de fiesta. À sa droite un nouveau venu dans le groupe se défonce sur une paire de congas comme si sa vie en dépendait. Natalia le présente comme la réincarnation de Daniel Ponce mais dans le public personne n’est dupe. En costume blanc mafieux, cheveux blonds filandreux et belle paire de bacchantes tombantes, c’est bien Taylor Hawkins en personne ! La terre entière peut pleurer sa disparition, ici personne n’a cru en son décès, c’est le nouveau héros des nuits colombiennes, un ange revenu de l’on ne sait où, rayonnant et passablement surexcité. À la fin du set, les doigts en sang, il disparaît rapidement, me laissant pour le moins dubitatif au milieu d’une foule complice de ce joli tour de passe-passe transformé en fake-news.
Habituellement, les concerts de Natikumbata se terminent en « afters » chez Michel, un français expatrié volontaire et mon ami depuis plus de cinquante ans. Nous venons du même quartier, élevés au rock’n’roll par nos frères ainés et avons usé nos fonds de pantalons ensemble sur les mêmes bancs d’école. Pour échapper au service militaire, Michel est parti à l’âge de vingt ans en coopération en Colombie, d’abord à Medellin puis à Bogota où il s’est définitivement installé. Aussitôt arrivé, aussitôt cambriolé, il s’était fait faucher toutes les cassettes qu’il avait patiemment préparées pour survivre à cet exil. J’avais alors monté une opération de sauvetage en lui apportant toute une série d’enregistrements qui lui manquaient tant. Depuis mon pote revient en France chaque été pour voir sa famille et ses vieux copains. À défaut de produits illicites, il nourrit ma collection de percussions en tout genre et un été sans sa visite est synonyme d’un été raté. Pourtant peu à peu Michel est passé du côté des forces latines et est devenu un salsero respecté. Lors d’un concert de Aterciopelados, le groupe rock le plus populaire d’Amérique latine, il a rencontré Natalia qui officiait aux percussions et avec qui il vit depuis, installé sur les hauteurs de Bogota dans un bel appartement dominant les lumières de la ville. Cette année c’est moi qui ai fait le déplacement et me voici au milieu de ces musiciens fatigués mais comblés. C’était leur premier concert en compagnie de Taylor et ça a bien fonctionné. Natalia est satisfaite de sa nouvelle recrue et me le présente sans insister sur son passé. Affalé dans un sofa, sifflotant au goulot une bouteille d’aguardiente, l’américain semble heureux et prêt à bavarder.
« Hello Taylor ! Alors fatigué du rock US ?
– Fuck, tu ne crois pas si bien dire. J’en ai assez d’être le prototype de l’occidental blanc, lourd et mal élevé. Je suis né au Texas en 1972 la meilleure année pour le rock et j’ai tout avalé. J’étais fan de Kiss, de Queen, de Rush et de Journey. C’est grâce à ces groupes que j’ai mis le pied à l’étrier. Pour faire plaisir à mes parents, j’ai passé un diplôme en percussion classique puis je suis devenu batteur, d’abord avec Alanis Morisette, puis à partir de 97 avec les Fuckin’ Foo Fighters ! »
Le débit vocal de Taylor est impressionnant ! Il parle comme il frappe, fort et sans s’arrêter. « En 2005 j’ai été élu meilleur batteur et en 2021, après avoir vendu 12 millions d’albums rien qu’aux States, le groupe a été introduit au Rock’n’roll Hall Of Fame. J’étais devenu une putain de rockstar ! J’ai rencontré toutes mes idoles de jeunesse et abusé de tout ou presque. Sauf que je n’étais pas satisfait. Passer pour un Heavy Metal Kids me pesait. Mon disque préféré reste Seconds Out, l’album live de Genesis de 77, j’aime la musique progressive et les rythmes compliqués. »
Quand je lui réponds que c’est aussi un de mes albums préférés et que j’ai assisté au concert parisien qui a été enregistré, mon nouvel ami s’excite et ne peut s’empêcher de confesser : « J’aurais dû faire partie du « Club des 27 », mourir avant trente ans comme tout bon rocker qui se respecte et devenir une légende aux côtés de Jim Morrison, Hendrix, Brian Jones et compagnie. Mais Dave m’a sauvé de mon overdose et de toute façon Kurt Cobain ne m’aurait pas accepté. Je n’ai jamais pu saquer les punks junkies… Depuis j’ai découvert la musique latine, la batterie n’a plus rien à m’apporter, le binaire lourd ne me fait plus bander, le rock d’aujourd’hui m’ennuie et la culture américaine me fait honte. Jouer l’ado attardé ne m’amuse plus. J’ai profité de mon escale en Colombie pour rompre avec mon passé et renaître autrement. L’univers des percussions me passionne, à moins que ce soit Natalia qui m’ait envouté » rajoute-il avec un sourire épuisé.
Michel intervient : « Pourtant tu sembles manquer à beaucoup de monde. Rares sont ceux qui ont vu leur décès commémoré si bruyamment et ce n’est pas fini car après Londres dans trois semaines c’est un nouveau concert marathon organisé par tous tes copains pour te célébrer.
– Je préfère ne pas regarder. C’est trop émouvant de les voir se succéder pour me remplacer. Il paraît que Dave a chialé ! Il doit s’inquiéter pour la suite à donner aux Fighters. Pourtant la relève est assurée, mon fils de quatorze ans est prêt pour tenir les baguettes, je lui ai tout laissé, mes batteries, mon énergie, mes shorts ridicules et mon goût du bagout. À lui d’assurer ! »
Natalia annonce alors à toute la troupe les concerts à venir : « Amigos, en août prochain nous serons en tournée en Europe et un grand concert est programmé au festival de folklore international de Confolens en France », puis s’adressant à moi, « Tu connais ? »
– Caramba bien sûr, l’événement existe depuis plus de soixante ans, c’est en Charente, le seul endroit où il fait bon vivre l’été ! Vous allez vous éclater !!! »

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