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ANGE DU ROCK N°40 : JOE ZAWINUL

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 20 janv. 2023
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 févr. 2023


Joe Zawinul playing keyboards on a Quechua chair.
© swampfactory@hotmail.com

Ce soir-là, le concert faillit tourner au fiasco. Le public sentait bien qu’il se passait quelque chose d’anormal. L’heure défilait et sur scène toujours pas de musiciens. Pourtant dans l’après-midi, lors de la balance tout s’était bien déroulé. Le New Zawinul Syndicate était à l’affiche, chacun avait réglé son son et Paco Sery, le fondateur du génial Sixun, un des rares batteurs ivoiriens à s’être imposé à l’internationale, nous avait impressionné par son professionnalisme et son efficacité. Sauf que deux heures plus tard, nulle trace de Paco, il avait disparu. Voyant les heures passer, Monsieur Zawinul commençait à s’inquiéter. Christian le directeur de la salle tournait en rond, le public déjà installé s’impatientait, et derrière la scène, la tension montait.


Après plus d’une heure de retard sur l’horaire annoncé, le leader du groupe décida de prendre son téléphone pour trouver un potentiel remplaçant. C’est ainsi que quarante-cinq minutes plus tard, on vit Mokhtar Samba, descendu d’un taxi, s’installer derrière la batterie de Sery. Quelques réglages suffirent. Le concert put commencer et les musiciens enfin se détendre. Heureusement ce batteur connaissait le répertoire et il suivit au doigt et à l’œil les gestes de Zawinul qui, tel un chef d’orchestre, lui indiqua les arrangements farcis de mesures impaires et de breaks compliqués. Cette musique étant fort éloignée d’un shuffle basique sur lequel on pourrait boeufer, la soirée tourna en performance improvisée. Les gens ressentirent l’exceptionnalité du moment et sir Zawinul triompha, adressant à son sauveur un rictus reconnaissant. C’était le 7 novembre 1997 et Joe avait soixante-cinq ans.


Durant cette longue attente imposée, moi qui avais accès aux loges, j’avais pu discuter avec Tony, le roadie attitré de Joe Zawinul responsable de ses claviers, son secrétaire, son homme à tout faire et aussi son fils bien aimé. Il ne m’avait pas laisser approcher son papa, cet homme qui avait pourtant tant compté pour moi. Non seulement Zawinul est l’un de mes musiciens préférés, le principal complice de Miles Davis période Bitches Brew, le compositeur de certains standards les plus connus du jazz comme Mercy, Mercy, Mercy, In a Silent Way ou Birdland, mais aussi bien sûr, le fondateur avec Wayne Shorter du fameux groupe de Jazz-rock Weather Report que je découvris, à dix-sept ans le 4 octobre 1978 sur la scène du Pavillon de Paris. Je ne m’en étais pas remis ! Devenu un fan fidèle, j’avais suivi le groupe à l’affut de ses nouvelles productions et fus bien attristé à l’heure de sa séparation. Inutile de dire que la venue de la nouvelle formation de ce musicien dans ma banlieue avait déclenché chez moi une excitation légitime quand bien même le concert ne s’était pas déroulé exactement comme prévu. Au lieu du père, j’avais rencontré le fiston. Depuis nous étions restés en contact.


En 2007 Tony m’avait annoncé le décès de sa maman Maxine, première playmate de couleur et épouse de Joe depuis plus de quarante années. Étrangement, il passa sous silence la mort de son paternel la même année. Je ne compris que bien plus tard pourquoi. En 2013 il créa la « Zawinul Foundation for Achievement » destinée à encourager et à cultiver la poursuite de carrières dans les arts de la scène chez de jeunes musiciens prometteurs et dans ce cadre-là il m’invita chez lui à Malibu.


Je me souviens avoir hésité à m’engager sur ce chemin sinueux qui longeait l’océan pour déboucher en haut d’une colline où dominait un beau logis couleur bleu pacifique face aux embruns. A l’origine c’était la maison de Joe. Tony l’avait reprise et m’attendait. À la vue de son sourire narquois quand il me présenta son père, je compris que l’on ne m’avait pas tout dit. Senior Zawinul était assis sur un banc, une calotte africaine plantée sur son crane chauve depuis longtemps, chemise à carreaux et sandales sans âge, le tout pour habiller un air bourru voir carrément méchant. C’est presque en hurlant que Tony me présenta car à près de quatre-vingt-dix ans Joe n’entendait plus très bien, raison pour laquelle, d’après son fils, il s’était retiré. « C’est un amateur français qui est venu pour t’interviewer ! »


Vu l’état de ce vieux monsieur, je m’attendais à un entretien pénible, plein de silences mortifères et de propos aigris. Il n’en fut rien. La pratique de la boxe avait permis à Joe de conserver une forme étonnante pour son âge et hormis ses problèmes d’audition, l’homme avait conservé un punch renversant. Face à un tel phénomène on a toujours peur d’en prendre une et de se faire dérouiller…


« On connaît votre passé de Jazzman. La découverte du Jazz à Vienne en pleine guerre, votre apprentissage dans les bases militaires US, votre départ pour l’Amérique, l’impact du « Birdland », fameux club de jazz newyorkais et vos dix années passées au service de Cannonball Adderley. Vous avez été nommé vingt-huit années consécutives meilleur clavier électrique. Mais justement comment êtes-vous passé du piano acoustique au piano électrique puis à l’orgue et aux synthés ?

– C’est grâce à la chanteuse Dinah Washington que j’accompagnais et qui était amie de Ray Charles. Chez elle, j’utilisais le piano électrique Wurlitzer de Ray et j’ai continué quand j’ai rejoint Adderley. Fin 68 Miles Davis est venu nous voir en concert, il a ensuite exigé qu’Herbie Hancock utilise cet instrument. Comme j’étais déjà un compositeur confirmé, nous avons ensemble enregistré plusieurs de mes thèmes pour ses disques In the Silent Way et Bitches Brew avec le succès que l’on connaît. C’est chez Miles que j’ai rencontré Wayne. Nous avons fondé Weather Report en 1971 avec la ferme intention de sortir de la catégorie Jazz pour créer une musique comme aucune autre pareille. Nous avions une vision : pas de guitariste car à l’époque la concurrence était rude avec Hendrix, Santana, Mclaughlin et d’autres encore de cet acabit, mais plutôt un son inédit, une alliance entre la modernité, moi, et l’humanité, Wayne.

C’est cette année que j’ai reçu mon premier synthétiseur pro, un Arp 2600 offert par Arp Instrument qui voulait le populariser. J’avais aussi insisté pour avoir un percussionniste pour compléter une rythmique basse-batterie que je voulais totalement free. À voir la liste des jeunes musiciens talentueux qui rêvaient de nous rejoindre, et j’ai bien peur d’en avoir oubliés, je reconnais que nous avons été gâtés. Avec Return to Forever, le Mahavishnu Orchestra, Jean Luc Ponty, les Headhunters de Herbie Hancock, toute cette école qui était passée par Miles et les quelques british bien inspirés comme Jeff Beck, nous avons inventé un genre nouveau que les critiques ont bêtement appelé Jazz-Rock puis ensuite par snobisme Fusion.

Inutile de vous dire que je me moquais de ces appellations. Aux États-Unis le label CBS ne savait plus où donner de la tête et signait les artistes à tour de bras. Nous remplissions des stades et étions aussi célèbres que les rock-stars les plus populaires. »


Littéralement envouté par cette voix à l’accent viennois aussi célèbre que l’enrouement de Miles, je n’osais lui demander quelle avait été sa formation de Weather Report préférée, craignant une réponse convenue du genre la toute dernière. C’est de lui-même qu’il m’avoua que sa meilleure période avait été celle avec Jaco Pastorius et des albums Black Market, Heavy Weather et Mr Gone. Témoin de cette époque bénie, j’étais dans le public quand ils ont enregistré le double album 8:30, le meilleur témoignage live de ce groupe formidable.


Malheureusement le temps de l’interview touchait à sa fin et je n’eus pas le temps de l’interroger sur la suite de sa carrière avec le Zawinul Syndicate, ainsi que sur ses multiples collaborations. J’aurais pourtant bien aimé savoir s’il se souvenait de ce concert raté sans Sery qu’il avait transformé, grâce à Mokhtar, en prestation inoubliable. Dans une vie si bien remplie ce n’était probablement qu’une galère de plus, aussitôt oubliée. Aussi je gardai ma dernière question pour son œuvre Mauthausen… Entendre parler du grand mourant. « Je suis un enfant de la guerre. En 1945 pour fuir les bombardements sur Vienne, j’ai été évacué vers les Sudètes Tchèques. Sous la surveillance des SS j’ai subi un entrainement militaire. Heureusement la fin du conflit a sonné et je n’ai pas fait partie des enfants soldats sacrifiés. Mais ça m’a marqué et quand en 1998 on m’a proposé de composer un mémorial musical pour les victimes de l’Holocauste je n’ai pas hésité. Je l’ai d’ailleurs interprété sur le lieu même du camp de concentration de Mauthausen à l’occasion du 60e anniversaire du site près de Linz en Autriche que j’ai souvent visité. C’est ma contribution au combat contre l’extrême droite, le racisme et l’antisémitisme. C’est le moins que je pouvais faire, moi qui me suis toujours considéré comme un tzigane imprégné de toute cette culture d’Europe de l’Est que les nazis détestaient, et je viens d’apprendre que l’œuvre continue d’être jouée. Comme je le dis souvent : la musique ne peut pas changer le monde, mais peut inspirer les gens à changer le monde. »


Et sur ce Joe Zawinul nous quitta pour se diriger vers un punching-ball qu’il se mît consciencieusement à frapper, sa façon à lui de nous dire que l’entrevue était terminée.


Dédicace reconnaissante à Thierry Pérémarti pour son « Visiting Jazz » publié aux éditions « le Mot et le reste » sans qui les « Anges du rock » n’auraient pas existé…


Heavy Weather around a Quechua chair.

À lire en écoutant : Black Market de Weather Report et Mauthausen de Joe Zawinul.

 
 
 

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