top of page
Rechercher

ANGE DU ROCK N°41 : ARNO

  • Photo du rédacteur: swampfactory
    swampfactory
  • 3 févr. 2023
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 févr. 2023


Arno belgian singer in the wind eating french fries.
© swampfactory@hotmail.com

« Attends-moi Charles ! »


C’est sa silhouette qui m’a interpellé et aujourd’hui encore je me demande ce qui m’a pris à ainsi le héler. Il marchait seul le long de cette plage du nord, la tête baissée vers le sable, engoncé dans une gabardine noire, sans couvre-chef mais avec une canne dont il se servait plus pour fendre l’air plutôt que pour marcher. Est-ce sa dégaine de grand homme ou parce que je venais de passer rue Princesse à Lille que j’ai pensé que c’était le grand Charles ? C’était stupide de ma part, le Charles en question aurait eu plus de cent trente ans et je ne me serais jamais permis de le tutoyer. Pourtant j’insistais !


« Charles, attends ! » Quand il se retourna je compris mon erreur. J’étais dans le Nord sur les traces du « Baron Noir » et soudain pendant un instant, j’avais cru avoir rendez-vous avec l’Histoire avec un grand H. La réalité était tout autre mais le hasard allait me gâter.

« Putain, putain mais c’est Arno ! L’européen ! »

J’avais déjà rencontré le bonhomme plusieurs années auparavant dans une salle de banlieue où il se produisait. Après son show, dans les coulisses, saoul comme un belge, il nous avait régalé d’anecdotes sur Marvin Gaye et je n’avais rien oublié. Évidemment lui n’en avait aucun souvenir mais être apostrophé par son deuxième prénom par un inconnu sur une plage ventée dut lui sembler suffisamment incongru pour prendre du temps pour causer. Ou peut-être n’avait-il rien d’autre à faire ? Sa mine avait salement vieilli, sa voix de cadavre ambulant plus que fatiguée n’était plus qu’un râle difficile à déchiffrer surtout avec cet accent flamand qui ne l’a jamais quitté. Pourtant son pas restait vif et nous avons marché.

« Depuis ma mort, je suis frappé d’acédie… Ce n’est plus le bon vieux coup de blues que je connais si bien et dont j’étais régulièrement victime. Non, c’est un profond sentiment de lassitude et de dégoût qui me submerge et qui a fait qu’après ma maladie je me suis retiré. Mon seul plaisir aujourd’hui c’est de me promener dans le vent. Je connais toutes les plages depuis Ostende mais celle-ci est ma préférée. J’adore cette longue bande de bitume de six kilomètres séparant la Mer du Nord du bassin minéralier. D’un coté la mer, de l’autre la zone industrielle où les tankers sont à l’abri pour décharger leurs cargaisons. Sais-tu qu’en théorie la promenade est interdite, mais les dunkerquois en ont fait leur lieu de balade favori et moi aussi ! La seule chose qui m’emmerde c’est qu’on est obligé de faire un long détour pour y accéder depuis qu’ils ont fermé le pont de l’écluse Charles De Gaulle qui ne fonctionne plus. Fuck ça craint ! »

Effectivement, je connais bien cet endroit magique mais trêve de considération géographique avec Arno, ce que je veux, c’est parler zique.

« Le business de la musique vient de sortir tes derniers enregistrements vendus sous l’étiquette posthume avec notamment un splendide duo avec Mireille Mathieu. Pour les rockers pur beurre c’est dur à avaler mais moi j’ai adoré. Avec les reprises décalées, les duos improbables sont devenus ta spécialité. Avec qui as-tu rêvé de chanter ?

– Pour cette dernière déconnade, je voulais Dolly Parton ! On aurait chanté Jolene. Pas sûr qu’elle pensait à moi quand elle a composé cette magnifique chanson mais je l’ai toujours trouvée poignante avec un texte particulièrement soigné. Ça n’a pas été possible et je me suis rabattu sur votre Mireille nationale. Pas du tout la même silhouette mais une voix à pleurer et un tempérament de feu. De toute façon je n’aime pas les jeunettes. Moi je kiffe les vieilles femmes… J’avais aussi pensé à Dalida, mais elle n’était pas disponible, rajoute-t-il avec un regard malicieux presque vicieux…

– Et avec qui d’autre encore aurais tu voulu pousser la chansonnette ?

– Avec Dylan ou Elvis ! me répond-t-il sans hésiter. J’aurais bien aimé aussi beugler avec Tom Waits. T’imagine le résultat : un son de bras-cassé à la Swordfishtrombones, son album de 1983 que j’ai tant écouté, et nos deux voix d’alcoolique mêlées. Ça aurait pu être grandiose, mais ça ne s’est pas fait. Dommage !

– Et parmi les artistes plus récents ?

– À part Bertrand Belin, je ne vois rien qui me fasse bander. Tu voudrais me voir danser avec Stromae ? De toute façon, je ne suis pas de mon époque et comme tous les vieux messieurs j’ai des problèmes de kiki. » Arno parle comme il rêve, sans retenue et sans vous regarder. « J’aurais voulu chanter avec Ferré ou Brel et je me suis retrouvé à gueuler les filles du bord de mer avec Adamo. Même Bashung, je l’ai loupé. On s’était tellement marré en jouant dans le film J’ai toujours rêvé d’être un gangster qu’on a oublié d’enregistrer ensemble un album de classiques de country : un projet que nous avions imaginé dans ce restauroute déglingué, mais qui ne s’est pas réalisé, fucking life ! Moi ce que je préfère c’est le blues. J’ai débuté comme chanteur de blues et je finirai comme Muddy Waters : assis, digne et bien sapé. Le reste je le fais pour faire jeune. À l’époque de TC Matic on a essayé de jouer propret. Au bout de deux mois en première partie de Simple Minds, j’ai craqué. Non seulement on n’était pas bon, mais nos looks de garçons coiffeurs me faisaient gerber… Je déconne ! J’ai aimé mélanger ces beats New Wave avec ces rocks old school, et ces textes en français. Passer de l’anglo-néerlandais à la langue de Molière et piller le patrimoine de la french variété a été une riche idée qui m’a beaucoup rapporté. Au final ce mix m’a plutôt réussi, pour une fois !

– Affirmatif Arno. Tu resteras toujours un Back Door Man, un grand bluesman ! »

En réponse à ce compliment qui sut le toucher, notre « gentilé ostendais » sortit un harmonica de sa poche et pour mon plus grand plaisir tout en marchant me régala de riffs bluesy façon Howlin’ Wolf, Little Walter et Sonny Boy Williamson II qui lui tenaient tant à cœur et qu’il connaissait sur le bout des lèvres. Arno s’arrêta de jouer quand nous arrivâmes au bout de la digue du Braek. Effectivement plus question de traverser depuis la fermeture de l’écluse qui permettait d’enjamber la dérivation du canal de Bourbourg pour rejoindre le Grand Port Maritime de Dunkerque.

« Puisqu’on ne peut plus passer par l’écluse De Gaulle et bien moi je n’irai pas jouer ! Je ne sais pas comment il a appris que j’étais toujours vivant, mais le maire de Colombey-les-deux-Églises, un type plutôt sympa s’est mis en tête de me faire jouer au pied de son immense croix de Lorraine là où l’autre Charlot a vécu et s’est retiré. Quel drôle d’idée. Il délire, j’en ai fini avec tout ce bazar, hors de question de revenir ! »

Arno belgian singer glasses and boots.

À lire en écoutant : Arno, Opex.

 
 
 

Comments


Abonnez-vous et recevez la visite des Anges du Rock chez vous !

Merci de vous être abonné.e aux Anges du Rock !

© 2023 by Glorify. Proudly created with Wix.com

bottom of page