ANGE DU ROCK N°43 : CHRISTINE MCVIE
- swampfactory
- 17 mars 2023
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 oct. 2023


Sacha est un étrange personnage. C’est un spécialiste des jeux de société, jeux vidéo, de rôle, de plateau, de cartes, de dés et d’adresse et de tous ce qui nous fait jouer. Chaque jeudi soir il invite ses amis à tester ses nouvelles créations et il est devenu un personnage reconnu dans l’univers impitoyable des jeux. C’est lui qui m’a fait parvenir cette invitation. Prétextant qu’il n’était pas disponible ce jour-là, si le cœur m’en disait, je pouvais prendre sa place. Selon lui, j’allais m’amuser.
Invité au Clearwell Castle ? Dans le Gloucestershire dans le sud-ouest de l’Angleterre ? Là où Deep Purple avait en 1973 réussi sa troisième mue répétant l’album Burn avec ses deux nouvelles recrues David Coverdale et Glenn Hughes… Là où Queen, Led Zeppelin, Bad Company, Black Sabbath et d’autres encore s’étaient installés à la recherche de leur muse dans les pièces hantées de ce château néo-gothique construit à partir de 1727. Et puis cette invitation au nom de Mc Vie : impossible que ce soit Christine Mc Vie, la chanteuse, compositrice, claviériste britannique membre de Fleetwood Mac dont on venait d’annoncer tout récemment le décès. Pourtant malgré ma manie de voir des anges partout, pas question d’hésiter… Je serai Sacha ou plutôt Professeur Peter Violet, « Professor Plum » en anglais et tant pis si je devais y perdre ma réputation à défaut de ma raison.
Le jour dit, je sonne aux grilles du château que les locaux nomment manoir pour faire moins prétentieux. Visiblement lady McVie a des moyens et peut louer ce modeste palais désormais exploité comme lieu de mariage pour familles fortunées souhaitant faire coucher leur jeune couple amoureux dans le lit où Freddie Mercury a séjourné. Un personnel accueillant me prie de le suivre jusqu’au grand salon en face du hall d’entrée. C’est là que Christine m’accueille : bingo ! C’est bien l’ex compagne de John McVie, le fondateur avec Mick Fleetwood du légendaire Fleetwood Mac. Une dame de soixante-dix-neuf ans, très classe et très bien habillée dont la mort annoncée semble pour le moins prématurée. Prévenante et souriante, elle m’annonce : « Pour cette partie de Cluedo, nous avons besoin de sang neuf et d’un maître à jouer. C’est à vous que nous avons pensé. J’aurais préféré un professeur Plum plus rondouillard, mais vos lunettes rondes, votre nœud papillon et votre pipe vous vont à ravir. Vous incarnez parfaitement cet intellectuel, prof d’université qui par un étrange phénomène inexpliqué n’a cessé de rajeunir depuis la création du jeu en 1943 : un personnage charmant mais quelque peu sournois ! » Me prenant par la main madame Christine m’entraine vers la véranda où les autres invités sont déjà installés autour d’une table basse dans de confortables fauteuils en osier. Aussitôt la maîtresse de maison me fait les présentations : « Voici Jo-Ann Kelly, la seule chanteuse de blues britannique respectée par Memphis Minnie et les grandes dames du pré-war blues américain. Une vieille copine qui s’est trop rapidement retirée », et s’adressant à Jo-Ann, « À défaut de chanter tu vas interpréter une miss White haute en couleur. Quand je pense qu’à l’origine du jeu c’était une gouvernante revancharde. Aujourd’hui c’est plutôt une infirmière perverse ce qui, avouons-le, te va bien mieux, n’est-ce pas chérie !
À côté nous avons ce bon vieux Colonel Mustard en la personne de mon ami Danny Kirwan. Tu te souviens Dan, tu as rejoint Fleetwood Mac en 69 en même temps que moi, mais toi tu n’es pas resté. Pour notre soirée Cluedo j’avais aussi pensé inviter Peter Green, mais il a un abonnement au théâtre Palladium à Londres et n’a pas pu se libérer. Dommage, nous aurions célébré vos retrouvailles. Je n’ai pas oublié vos deux guitares entremêlées dans le splendide Albatross, mon morceau favori du Fleetwood première période. Dans le jeu Moutarde est souvent représenté comme un ancien militaire ou un rugbyman retraité. Si l’âge t’as rattrapé tu es toujours en bonne santé. Et puis le jaune te va bien. C’est toi-même qui m’as dit que dans Fleetwood Mac tu avais été le « deceived husband » parfait.
Dear Sacha, dois-je vous présenter Sandy ? Et oui, même en fauteuil roulant cette chère Sandy Denny ne louperait pas nos soirées pour tout l’or du monde. Depuis qu’elle s’est retirée toutes les occasions sont bonnes pour quitter son jardin fleuri. Au temps des sixties quand j’œuvrais au sein de Chicken Shack mon premier groupe pro nous avons souvent joué avec Fairport Convention, l’orchestre de Sandy. S’ils étaient plutôt folk-rock et nous blues-rock, à l’époque ces différences stylistiques pouvaient cohabiter et le public en redemandait. Nous sommes devenues proches et depuis son accident nous ne nous sommes jamais quittées. Tu tiens à jouer Miss Scarlett ! C’est cette passion pour les roses qui te maintient encore en vie à moins que ce soit ton coté femme fatale qui en a troublé plus d’un, notamment un certain Robert Plant qui ne t’as jamais oubliée. Voici ensuite Reverend Green, Alias Robert Lawrence Welch Jr. que nous préférons appeler Bob. Et oui, il fait aussi partie de la grande famille du Mac puisqu’il nous a rejoint en 1971 pour trois années et cinq albums enregistrés. Reconnaissons-le, ce n’était pas nos meilleures années. N’est-ce pas darling ! Quand je pense que les britanniques passent pour des gens excentriques, ils ne te connaissent pas toi le « suicidal man » qui ne sait pas tirer. Né à Hollywood, installé à Nashville, que de bêtises n’as-tu pas commises ? Le col blanc du vicaire te va bien et tu n’as pas eu à te raser la tête puisque chauve tu l’étais déjà depuis de longues années. Personnellement je jouerai Miss Peacock que vous les français nommez madame Patricia Pervenche. Son âge exact est inconnu, ça tombe bien, je n’ai pas envie de m’en rappeler. J’ai toujours adoré les tiares et le bleu me va bien au teint. Quelqu’un voudrait-il prendre ma place ? Personne ? Et bien c’est entendu je serai la reine de la soirée. Ah, j’oubliais, vous ne connaissez pas mademoiselle Eve Pratt. Elle n’est pas musicienne. C’est la descendante de Anthony Ernest Pratt, l’inventeur du Cluedo. Chère amie vous êtes notre caution tradition, celle qui veille au respect des règles inventées par votre lointain aïeul. Comme convenu, si vous voulez bien, vous interprèterez Doctor Orchid, une herboriste surdouée spécialiste des plantes toxiques. Avec Sacha notre Professor Plum distingué, vous nous direz si notre version Rock’n’roll du Cluedo peut être compatible avec le brevet déposé en 1949. Par exemple nous avons remplacé les armes disponibles pour assassiner : le couteau est une cymbale affutée ; le revolver disparaît pour faire place à des enceintes tellement puissantes qu’il peut rendre fou la personne contrainte à écouter ; la matraque est remplacée par une guitare électrique solid body suffisamment résistante pour assommer ; au lieu du chandelier vous pourrez utiliser une grosse caisse pour fracasser la tête de celui que vous voulez tuer ; plus besoin de corde pour pendre, un empoisonnement à l’héroïne fera aussi bien l’affaire ; enfin la clé anglaise est rangée au garage au profit d’un jeu de cordes de basse, idéal pour étrangler. Les présentations sont faites, le jeu peut commencer ! »
S’en suit alors une partie déchainée (enfin façon de parler vue la moyenne d’âge des personnes conviées…) où se succèdent lancers de dés qui permettent de circuler de pièce en pièce et hypothèses plus ou moins saugrenues tendant à identifier le meurtrier, la pièce de l’homicide et l’arme utilisée. C’est Reverend Green qui ouvre le bal en énonçant une première reconstitution : « je suspecte Miss Scarlett d’avoir tué en utilisant dans le studio le système haute-fidélité qui rend cinglé ». Le coup suivant colonel Mustard profite de sa présence dans la bibliothèque pour accuser Miss White d’avoir assassiné avec la cymbale effilée. L’accusée rit de cette supposition qu’elle qualifie de délirante. Elle a un alibi irréfutable dissimulé dans ses cartes et de plus ne supporte pas la vue du sang qui aurait fatalement giclé.
Il est temps de faire une pause et quand toute l’équipe se disperse entre le petit salon et la salle à manger, je me propose d’aider à préparer le thé et me retrouve en tête à tête dans la cuisine avec notre hôte Christine, une personne décidément très distinguée. « Qu’est-ce que Lindsey Buckingham et Stevie Nicks penseraient d’une telle réunion ?
– Je n’en sais rien ! Ce sont des américains, nous n’avons jamais eu la même façon de penser. Probablement qu’ils auraient fait venir la télé et auraient annoncé mon décès pour faire le buzz et de la pub pour leurs prochaines tournées.
– Et Mick Fleetwood et John McVie ?
– Ne m’en parlez pas ! Si j’avais invité Monsieur Fleetwood, notre soirée aurait tourné en orgie ! Comme beaucoup de batteurs Mick ne sait pas se tenir. Pour lui, la seule chose qui compte c’est le groupe qu’il a fondé avec John en 1967 et qui porte leur nom. Mon dieu, c’est si loin. Comme vous le savez à l’origine Fleetwood Mac avec Peter Green était un fleuron du British Blues Boom formé par des anciens musiciens de John Mayall. Avant de les rejoindre, j’avais déjà bien roulé ma bosse et réalisé un album solo sous mon nom de jeune fille Christine Perfect. Puis je me suis mariée et suis devenue McVie pour le meilleur et pour le pire. Mais au début des seventies le vent a tourné, le Mac n’avait plus la cote et nous avons beaucoup galéré. Nous avons dû affronter un faux Fleetwood Mac et des changements incessants de musiciens plus ou moins qualifiés. Mais je tiens à rappeler que notre son pop rock généralement associé à notre alliance avec le couple Buckingham Nicks nous est d’abord venu des compositions de Bob Welch. C’est lui qui nous a convaincu de venir nous installer en Californie. Nous cherchions un succès commercial et nous l’avons trouvé au studio Sound City à Los Angeles en fusionnant avec Lindsey et Stevie. Cent-vingt millions d’albums vendus plus tard, après tant de rumeurs, de conflits et de Dom Pérignon ingurgités, il était temps pour moi de quitter un bateau en or mais trop lourd à manœuvrer. Je suis partie en 1998 puis revenue en 2014. N’étant pas rancunière j’ai même enregistré un album en duo avec Lindsey bien qu’en réalité j’aurais préféré revenir vers le blues que je n’ai jamais cessé d’aimer. Depuis Mick essaie de maintenir le navire à flot coûte que coûte. Pourtant avec son compère John ils ont largement dépassé la date de péremption. Il faut savoir se retirer et la retraite est faite pour s’amuser surtout quand on a les moyens de louer Clearwell Castle, is’nt it ? Il me reste quand même de bons souvenirs notamment le Château d’Hérouville en France où nous avons enregistré Mirage et le concert à Paris pour la tournée de l’album Tusk. Vous y étiez ?
– Bien sûr ! c’était le 14 juin 1980 et c’était excellent. Certaines chansons ont d’ailleurs été enregistrées pour le live que vous avez ensuite publié.
– Je ne veux pas vous décevoir, mais ces titres ont été en réalité captés pendant le sound check dans l’après-midi et non pas en soirée. Mais stoppons là notre conversation, nos invités nous attendent et nous avons une partie à terminer. »
Effectivement les hypothèses reprennent bon train, chacun cherchant à identifier l’assassin. Après plusieurs passes malheureuses toutes couvertes par des alibis en béton, à mon tour je me lance et annonce : « J’accuse Mrs. Peacock d’avoir occis par strangulation avec la corde de basse dans le bureau ! ». S’agit’il de la solution de l’énigme ? Pour moi ce n’est plus une suspicion, c’est une certitude et je demande à vérifier les trois cartes solutions cachées dans l’enveloppe. Victoire ! Tel un Sherlock Holmes morphinomane surexcité, je triomphe ! Oh surprise la carte de la victime n’est pas à celle du traditionnel Docteur Lenoir, mais est à l’effigie de John McVie le bassiste de Fleetwood Mac, l’ex mari de Christine McVie…

À lire en écoutant : Christine Perfect ou Christine McVie ou bien encore si vous ne l’avez jamais fait, Rumours de Fleetwood Mac
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