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ANGE DU ROCK N°45 : DAVID CROSBY

  • Photo du rédacteur: Patrice Villatte
    Patrice Villatte
  • 14 avr. 2023
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 avr. 2023


David Crosby tasting old rum.
© swampfactory@hotmail.com

Aujourd’hui comme hier, il fait beau à Jacmel. Le thermomètre indique 26 degrés Celsius et la brise du matin est particulièrement agréable avant les chaleurs de l’après-midi. La saison des cyclones est terminée et il fait bien meilleur à vivre dans le principal port de la côte sud haïtienne que dans la capitale Port-au-Prince.


Si les gangs nourris par une pauvreté endémique sont omniprésents dans la cité, la violence y est moindre pour peu qu’on se fasse discret. Face à la mer, les vieilles maisons de style colonial s’alignent nonchalamment. Certaines sont dans un état de délabrement avancé, mais toutes témoignent d’une très ancienne période de prospérité. Ici tout pourrait faire rêver : la rivière des Orangers qui traverse la ville, le Bassin bleu, un site naturel exceptionnel situé plus à l’ouest, les plages de Kabik, de Ti-mouillage et de Raymond des Bains fréquentées par les jacméliens, sans oublier l’activité carnavalesque fameuse dans toute la région caraïbéenne. Pourtant, je ne suis pas là pour faire du tourisme, ce qui d’ailleurs serait déplacé dans un pays toujours classé dans la catégorie des P.M.A., les pays les moins avancés. Je suis sur les traces de Horace-Camille Desmoulins. Je veux écrire un scénario qui raconterait une étrange destinée, celle du fils du révolutionnaire français Camille Desmoulins. Je veux aussi rappeler « l’indifférence colonialiste » de figures majeures de la Révolution Française qui par opportunisme ou par aveuglement n’ont pas voulu lier leur combat pour la liberté à celui des esclaves noirs insurgés. Il me semble que cette contradiction est parfaitement illustrée par la vie de cet Horace oublié. Son parrain était Robespierre et il fut élevé avec le fils de Danton. En 1794, quand ses deux parents furent guillotinés, il n’avait que deux ans. Étrangement il fut boursier sous Napoléon et échappa à l’armée. Puis en 1817 il s’installa à Jacmel pour monter un commerce de café. Haïti était désormais indépendant mais le prix à payer était gigantesque. Le nouvel état était tenu de dédommager les esclavagistes (et non pas les esclaves), une dette qu’il régla à la France pendant près d’un siècle et demi ! C’est encore aujourd’hui la principale cause de son terrible retard économique. En 1825, Desmoulins Junior voulut revenir en France mais mourut de fièvre la même année sans avoir pu rentrer. L’homme est peu connu et l’on peut imaginer un personnage moitié pirate, moitié homme d’affaire raté. A-t-il été du côté des Haïtiens révoltés ou bien du côté des colons profiteurs jadis défendus par un père bégayant entre principe de justice pour le genre humain et nostalgie pour le code noir ?


Me voici déambulant dans le centre-ville pour me rendre chez une très vieille dame, que le conservateur du musée Salubria m’a conseillé d’aller interroger. Elle habite dans une bâtisse du XIXe siècle pourvue d’un toit rouge conique facile à repérer que les gens appellent la Maison Cadet. Je ne sais pas encore qu’une étrange rencontre m’y attend. Ce que j’ignore, c’est qu’elle ne vit pas seule et quand je sonne à la magnifique grille en fer forgée, c’est David Crosby en personne qui vient m’ouvrir. Je n’ai pas le temps de m’étonner que déjà le vieil homme alerte m’emmène vers un patio magnifique maculé de fleurs tropicales et des plantes exotiques. David est facile à identifier puisqu’il est tel qu’il a toujours été, une moustache de phoque, un capuchon sans âge et un sourire de hippie pas si gentil… Il appelle aussitôt sa compagne avec qui j’ai rendez-vous : « Darling ! on te demande ! Après quelques instants de silence, David recommence en insistant : « Coucou ! Darling ! le monsieur est là ! »

Aucune réaction, pourtant Crosby parle fort avec cette voix haute et pure qu’on lui connait. Gêné, il se sent obligé de m’expliquer qu’hier soir, ils ont beaucoup bu et pas mal fumé. Sa chérie doit encore dormir, nous n’allons pas la déranger. « En attendant asseyez-vous, je vous en prie. Excusez-la mais à nous deux nous approchons les cent-soixante-dix ans et à notre âge nous marchons au ralenti. Mais c’est l’heure du petit décollage. M’accompagneriez-vous pour boire le premier rhum de la matinée ? C’est un tafia amélioré de Barbancourt qui nous arrive directement de « Cul de Sac », ça va nous réveiller. »

Moi qui d’habitude ne bois pas d’alcool, je n’imagine pas refuser ce breuvage qui m’est tendu par une pure légende de ma musique préférée. Tant pis pour mon enquête historique, après ce verre c’est de rock dont j’ai envie de causer. Cela tombe bien, David vient de recevoir les premiers pressages de son dernier cd, un live qu’il a enregistré en 2018 avec Becca Stevens, Michelle Willis et Michael League, un trio de musiciens super talentueux. Il me propose de l’écouter. « Ces jeunes sont incroyables, Ils viennent de la planète Snarky Puppy et sont excellents. Non seulement, ils jouent de tout, chantent magnifiquement mais surtout leur culture musicale est sans faille, sans œillère et pleine de respect. C’est tellement facile de travailler avec eux et puis les vieux me font chier ! C’est décidé voici mon dernier disque publié. De toute façon, je n’ai pas le choix, il me faut disparaître, trop de personnes veulent me voir crever.

– Comment ça vous le fondateur des Byrds, le tiers toujours actif d’un des plus fameux trios qui ait existé, le survivant de Woodstock revenu de tout, vous imaginez décrocher ?

– Tout à fait ! Sachez que je suis pour la retraite à soixante ans même si personnellement je n’ai pas su m’arrêter. Le travail tue et puis tous ces gens qui m’en veulent c’est fatiguant. Bon c’est vrai au début de ma carrière j’étais un enfant gâté de Californie particulièrement arrogant. Quand j’ai défendu la théorie du complot qui a assassiné Kennedy, Roger McGuinn a été indigné. Pourtant aujourd’hui encore je reste convaincu de la véracité de ma position. Idem à propos de mes idées pacifistes. Face à mes détracteurs il m’a fallu rester armé… Ça et la drogue m’ont couté très cher et plusieurs fois j’ai failli y rester. J’ai connu la prison et j’y ai laissé ma santé. Et je ne vous parle pas de toutes les femmes que j’ai trompées, trahies et abandonnées. Je n’en suis pas fier, mais ma vie a été compliquée.

Malgré le succès, l’aventure Crosby Stills and Nash n’a pas été une sinécure mais plutôt une longue acrimonie persistante. Pourtant chez Joni Mitchell tout avait bien commencé. Réunir un ancien Byrds, un ex Buffalo Springfield et un Hollies sur le départ semblait être une bonne idée. Mais quand on a voulu intégrer Neil Young, c’est devenu beaucoup plus abscons et les réunions suivantes n’ont été montées que pour le blé. La pression nous faisait déconner, nous nous prenions pour les nouveaux Beatles. Même le toujours très sympathique Graham Nash a craqué. C’est vrai que mes problèmes d’addiction n’ont pas aidé. Au début des années deux mille j’ai cru revivre quand j’ai retrouvé James Raymond, ce fils que j’avais abandonné au début des sixties. Nous avons monté le groupe CPR, réalisé des disques, fait des concerts mais malgré tous nos efforts cela n’a que modérément marché. Je crois qu’il m’en a voulu quand j’ai rendu mon tablier. À la même époque j’ai accepté d’être le géniteur des enfants de Melissa Etheridge et de sa compagne mais ça aussi on me l’a reproché. Finalement les seuls qui ne m’ont jamais laissé tomber ce sont les englishs. Phil Collins a payé ma greffe de foie et quand David Gilmour m’invite pour chanter c’est toujours le pied. Malgré les problèmes d’ego, les dissensions internes et l’état lamentable dans lequel j’ai été capable de me mettre, sans fausse modestie, je m’étonne encore de la qualité des albums auxquels j’ai participé. De tous ces enregistrements, c’est CSN de 77 qui reste mon préféré. On y retrouve la guitare rock ’n roll et les envolées latinos de Stills, les belles mélodies gentiment nian-nian de Nash et Shadow Captain, ma meilleure composition qui ouvre l’album. Pas de Neil Young pour nous emmerder et des harmonies vocales à pleurer. Même la jaquette est réussie !

– Vous parlez de celle où vous êtes sérieux ou bien la version où vous rigolez ?

– Ah vous connaissez cette anecdote ! Effectivement il existe deux photos pour cette pochette. Elles ont été prises sur mon bateau. J’ai toujours fait du voilier. Souvent c’était la seule maison où j’habitais, le dernier refuge où me planquer et c’est sur mer que j’ai écrit mes meilleures chansons. Un jour j’ai débarqué à Jacmel. En ces temps-là c’était un port de trafiquants, de dealers et de forbans, un endroit idéal pour un camé et aussi pour se faire oublier. C’est là que je veux finir mes jours mais je ne suis pas pressé. Depuis que j’ai interprété un pirate dans Hook le film de Spielberg, je sais que c’est ma destinée : finir en flibustier. J’attends d’ailleurs Keith Richards qui ne devrait pas tarder à me rejoindre. Pour avoir la paix j’ai décidé d’annoncer sur les réseaux la date de mon décès. C’est prévu pour le 19 janvier prochain, le jour où David Crosby rendra son âme au diable plutôt qu’à Dieu ! »


Merci à Elise V. qui fut la première à me faire rêver de Jacmel.

Croz's boat.

À lire en écoutant : Crosby, Stills and Nash, CSN.

 
 
 

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