ANGE DU ROCK N°47 : STEVE MARRIOTT
- Patrice Villatte
- 26 mai 2023
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 oct. 2023

Séquence de générique de fin. Plan moyen sur la façade victorienne de la Winson Green Prison à Birmingham. Tout au long de cette séquence, la musique d’abord sourde et lointaine monte peu à peu en puissance. La caméra s’avance vers l’entrée de la prison. Devant les portes monumentales, on distingue un bassiste, un organiste, un batteur et la silhouette filiforme d’un guitariste chanteur. Il porte une veste mod à l’effigie de l’Union Jack sur un pull à col roulé vert Véronèse. Sa guitare étincelante accroche la lumière. L’acteur exécute un moulinet avec son bras droit et saute en rythme pour marquer la fin du morceau.
Arrêt sur image. Fermeture en fondu. Le générique continue de se dérouler.
C’est en lisant le long défilement de noms que j’ai noté que la musique de la neuvième saison de Peaky Blinders est signée Stephen Peter Marriott. Est-ce un homonyme ou un descendant du célèbre Steve Marriott, leader des groupes Small Faces et Humble Pie, deux références incontournables du rock britannique ? Le thème musical principal n’est plus le superbe Red Right Hand de Nick Cave. Il est remplacé par la chanson Tin Soldier, ce magnifique hymne des Small Faces précédemment cité, composé justement par Steve Marriott et Ronnie Lane son complice. C’est bien choisi puisque désormais l’action se passe dans les années soixante où nos chers affreux ont décidé de profiter des swinging sixties pour commettre quelques larcins dont ils ont le secret. Depuis le début de l’histoire nous les avons suivis au sortir du premier conflit mondial, puis dans les années trente. Comme la série s’essouffle, il est prévu un film pour les voir évoluer pendant la seconde guerre mondiale puis le retour en feuilleton avec de nouveaux acteurs et une intrigue se déroulant en 1964. Nous n’en avons pas fini avec les Peakys !
Mais aujourd’hui c’est la société de production qui régale. Ici à Birmingham, elle propose de rencontrer Steven Knight, le créateur de cette chronique, les différents réalisateurs et scénaristes, les acteurs et le responsable de la nouvelle bande son. Tout est prêt dans le grand hall d’entrée du Bull Ring, tapis rouge, petits fours et paparazzis à volonté pour accueillir les stars de ciné et leurs groupies excitées. Si Cillian Murphy fait son grand retour en vieillard repenti, nulle trace de ce mystérieux Marriott à l’horizon. C’est pourtant le seul aspect de la série qui m’intéresse vraiment. Je sors dépité de ce temple maudit de la consommation et pour me remonter le moral, je m’engouffre dans le pub voisin pour me désaltérer. Au fond de la salle un attroupement attire mon regard. Est-ce une réunion privée de vieux dandys en casquette et costume assorti ou bien une assemblée de figurants de la série, tous sapés comme des bandits prêts pour un casting de folie ? Au milieu est assis, une pinte à la main, un type décédé en 1991, Steve Marriott en majesté ! Il est facile à reconnaître avec sa gueule abimée de boxeur poids léger, ses cheveux en pétard et ses deux gros favoris qui cernent un visage certes bouffi mais que l’on ne peut oublier.
J’ai une histoire particulière avec ce type. D’abord j’aime ses disques. Je les écoute depuis toujours et souvent me revient en mémoire le jour où, après dix années de recherche infructueuse, j’ai enfin trouvé dans une petite boutique du Greenwich village à New York son premier album solo paru en 1976. On le voit coincé entre le drapeau britannique et celui des États-Unis. C’était les eighties, une époque maudite où sa musique était en passe d’être oubliée et les vinyles en voie de disparition. Ce jour-là, j’avais aussi acquis le Paul McCartney Choba B CCCP en pressage soviétique que l’ex-fab avait enregistré pour le label Melodiya en vue de pénétrer le marché russe. Deux pépites en vingt-quatre heures, je n’avais pas perdu ma journée. Bref, Steve est un de mes héros. Je ne veux pas le louper, sa résurrection ne peut qu’éveiller ma curiosité.
Après avoir fendu la foule, je réussis à m’assoir à côté de lui. Étonnamment il ne refuse pas la conversation, au contraire il semble l’apprécier. Je décide de reprendre méthodiquement sa carrière en remontant le temps. Mister Marriott a gardé sa voix perçante et quand il prend la parole l’assistance l’écoute attentivement comme un leader que l’on respecte :
« Damn you, j’ai fait mes derniers concerts en trio avec Packet of Three ! me dit il hilare, certain que la foule va bien rigoler de ce jeu de mot qui signifie boîte de préservatifs. C’était le temps des concerts minables dans des clubs devant un public de bastards alcooliques exactement comme celui-ci, insiste-t-il en me montrant du doigt son entourage qui, bien loin d’en prendre ombrage, rugit de plaisir. Pour sortir de cette galère, j’ai renoué avec ce little bugger de Peter Frampton, je l’avais connu en 69 à Paris lors d’un enregistrement pour votre bloody Johnny. Nous voulions relancer notre carrière, mais nous n’avons eu le temps d’enregistrer que deux morceaux avant que tout ne parte en fumée. La presse a raconté qu’ivre j’aurais mis involontairement le feu à mes draps et péri dans l’incendie de mon domicile. Bollocks ! La vérité, c’est que j’ai été attaqué par une bande de cunts qui voulaient me piller. Comme j’avais maille à partir avec un knob de juge, j’en ai profité pour m’évaporer et me faire oublier du fisc. » À chaque injure prononcée le public réagit en levant son verre et en acquiesçant bruyamment ! « De toute façon, je n’ai aucun regret, ces tentatives de reformation sont toujours vouées à l’échec. En 1977, nous avions tenté le coup en relançant les Small Faces mais malgré deux albums de qualité, ça n’a pas marché. Le public préférait ces tossers de punks plutôt que des survivants des sixties. Peut-être étions-nous trop bons ? Deux ans plus tard, avec mon pote Bobby Tench on a reformé Humble Pie mais là aussi ça a foiré ! Le F.M. et la New Wave étaient passées par là. Peter Frampton a su en profiter, mais nous, nous étions trop sauvages pour les plonkers américains.
– Pourtant le Humble Pie original était très populaire aux States !
– Fucking hell, nous étions des stars ! Sur scène nous étions imbattables mais les disques studio étaient bâclés. La preuve, me dit-il en se retournant vers la bande d’affreux qui nous entoure, hey les gars quel est votre disque préféré du Pie ?
– Rockin’ the Fillmore, le meilleur live du rock’n’roll !!! vocifère la meute hurlante.
– Mais là aussi les astres ne se sont pas alignés. Trop de pression, de drogues. Quand nous avons remplacé Frampton par Clem Clempson nous avons gagné en efficacité mais nous avons perdu le public des midinettes. Nous n’étions plus hip, nous étions devenus square.
– Branché, les Small Faces l’étaient effrontément ! Raconte nous l’histoire de nos leaders adorés ! hurle mon voisin en se levant pour aussitôt s’effondrer.
– Shut up ! Nous étions si jeunes ! Quatre gamins de seize ans, des nains qui font la loi dans les hits parades au milieu des géants, une époque incroyable que malgré l’adage je n’ai pas oubliée même si j’ai beaucoup abusé. »
Aussitôt c’est tout le pub qui entonne Whatcha Gonna Do About It, le premier single du groupe sorti en 65 dont tout le monde ici se souvient. Ensuite les descendants du gang des cheapside sloggers attaquent Sha-La-La-La-Lee puis enquillent sur All Or Nothing pour finir par Here Come The Nice, l’hymne au speed et à la provocation. Ce n’est plus une bande de tealeaves qui chantent, c’est toute une tribune de supporters du Aston Villa Football Club qui beugle à gorge déployée. Marriott le mariole, ancien enfant de la balle, revenu de tout, ne peut empêcher de laisser couler une larme sur son sourire fier mais gêné. « Bullshit ! Vous allez me faire chialer ! Vous êtes les derniers modernistes, des dandys magnifiques pour l’éternité ! » Au milieu du brouhaha je n’hésite pas à le questionner : « Avec les Who et les Kinks, toi et ton groupe étiez l’un des fleurons du courant mod. Est-ce pour cette raison que l’on t’a confié la musique des Peaky Blinders ?
– Non, c’est parce que je suis un Peaky ! La production voulait de l’authentique, ils ont été servis ! Pas besoin d’être né dans une roulotte pour se reconnaître dans ce groupe de durs à cuire. A l’origine les Blinders étaient de Small Heath, quartier pauvre de Birmingham. C’étaient des immigrants irlandais et des membres de la communauté gypsie. Holy Crap ! On passe pour des criminels, ce qui n’est pas faux mais fuck, face à la société, on reste solidaire. Et quand on peut faire un peu de monnaie, pourquoi hésiter ?
– Dis-lui comment s’est terminée la commémoration des mods l’an dernier, lance un des membres de la communauté.
– C’est ce chav de Paul Weller qui a tout organisé. Comme on le sait c’est le premier des nostalgiques, celui qui dès le temps des Jam a maintenu la flamme de cette subculture née à la fin des fifties. Tous les anciens mods étaient là. Pete Townshend et Roger Daltrey arrivés chacun de leur côté ne sont pas restés. Bowie et Bolan se sont fait excuser, mais Brian Ferry s’est pointé en costard prince de Galles parfaitement coupé. Même Phil Collins était présent dans son fauteuil roulant, rappelant à qui voulait l’entendre que lui aussi avait été mod quand il était enfant. Bien sûr j’étais invité et je suis venu avec mes potes. Un groupe de ass du nom de Maximun R&B a joué tous nos standards préférés, plus quelques pépites oubliées des Creation, des Action et de Chris Farlowe. Quand ils ont joué I’m the Face le premier 45 tours des High Numbers, futurs Who, mes gars se sont excités. On a bu tout ce que l’on a pu et certains d’entre nous, que je ne veux pas nommer, ont fait les poches à cette bande de bourgeois dégénérés. Ils ont pris à parti Ron Wood et lui ont piqué sa tocante en or massif. Rod Stewart est intervenu et a gueulé. Bien mal lui en a pris, c’est un moron, et il s’est fait dépouiller. Son entourage a voulu intervenir et ça s’est terminé en bagarre générale. Comme d’habitude Dave Davies en a mis une à son frère Ray, il faut dire que comme piece of shit on ne fait pas mieux. J’en ai profité pour balancer un coup de boule à Rod the mod, j’avais avec lui un vieux contentieux à régler…Tous ces scruffy ‘erbert avaient oublié qu’avant d’être mods nous sommes des Peaky Blinders, autrement dit des « casquettes aveuglantes » et qu’avec nos lames de rasoirs cachées dans nos visières, il ne faut pas nous chercher ! »
Petit lexique à destination des Tickets
- Ass/Arse : con(ne)
- Bastard : salaud
- Bloody : putain
- Bollocks (couilles) : n’importe quoi
- Bullshit : c’est des conneries
- Chav : kéké
- Cheapside sloggers : racailles
- Cunt : connard, salope
- Damn you : bon sang
- Faces : leaders
- Fuck : putain
- Fucking hell : putain de merde
- Hip : branché
- Holy crap : merde alors
- Knob : tête de nœud, abruti
- Little bugger : casse pied
- Moron : idiot, imbécile
- Piece of shit : tas de merde
- Plonker : idiot, con
- Scruffy ‘erbert : pauvre type
- Shut up : ta gueule, la ferme
- Square : ringard
- Tealeave : voleur en argot cockney
- Ticket : personne ordinaire
- Tosser : branleur

À lire en écoutant : Steve Marriott, Tin Soldier – Anthology
Comentarios