ANGE DU ROCK N°48 : RONNIE LANE
- Patrice Villatte
- 9 juin 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 juin 2023

Phil Maçon est un lanceur d’alerte occitan. Ce crypto-anarcho-écologiste est connu pour avoir créé un correcteur orthographique révolutionnaire et pour avoir écrit un livre prophétique « Le déclin de la cité moderne ». Il a aussi révélé plusieurs milliers de documents relatifs à des scandales de corruption, d’espionnage et de violation des droits de l’homme ce qui lui a valu quelques ennuis avec la CIA.
Parmi la multitude de fichiers dévoilés, contenant des courriers électroniques ainsi que de nombreux câblogrammes diplomatiques, un message m’interpela. Il était ainsi formulé :
Expéditeur : SirStewart@bbbox.uk à Ronnie-L@free.ro Ronnald ! Hier à Birmingham lors d’une célébration du mouvement Mod où je m’étais rendu avec Ron Wood, invité par ce cher Paul Weller, j’ai été agressé par ton vieux copain Steve Marriott et sa bande d’acolytes alcooliques. Ils m’ont tout pris, mes cartes de crédit, ma gourmette en or offerte par Elton John, ma chevalière que je tiens de ma maman, mes mocassins à écusson plus ma veste à motif écossais vert avec une fleur bleue au revers. Sa majesté Charles m’a aussitôt proposé ses services pour tenter de récupérer mes biens auxquels je tiens, mais je doute de son efficacité et j’aimerais éviter tout battage médiatique. N’est pas Churchill qui veut ! Toi qui as fréquenté cette brute de Peaky Blinders de mes deux, peux-tu intervenir avant que je ne prévienne mes contacts à Scotland Yard ? Thank in advance, Sir Rod Stewart. J’avoue avoir souri en imaginant Rod The Mod obligé de rentrer chez lui en chaussettes, moi qui ai tant adoré sa musique et sa rock’n’roll attitude. Je l’ai souvent vu en concert mais notre star a mal vieilli et sa bonhommie nobiliaire désormais m’agace. Mais l’essentiel est ailleurs. Ce message daté de juin 2023 prouve que malgré ce que l’on croyait, ce Ronald plus connu sous le nom de Ronnie Lane, bassiste fondateur des Small Faces puis des Faces, demeure bien vivant. J’avais donc son adresse électronique, j’allais pouvoir le contacter.
Ce Lane là est l’opposé de Sir Stewart. Sa réputation fut celle d’un artiste sans compromis qui ne s’encombrait ni de paillettes ni de superficialité. Atteint d’une affreuse sclérose en plaque qui l’a terriblement diminué et malgré le soutien de tous ses potes, Pete Townshend, Clapton, Beck et Page, la maladie finit par l’emporter. Enfin c’est ce que l’on croyait mais quand il répondit à mon premier mail, je versai des larmes d’émotion sur mon clavier. C’était comme reprendre contact avec un vieux copain après tant d’années. Si j’étais trop jeune pour avoir vécu l’époque Small Faces en direct, je n’avais rien loupé de l’épopée Faces : trois ex Small Faces, Ronnie Lane, Ian McLagan et Kenney Jones rejoints par deux ex Jeff Beck Group, Rod Stewart et Ron Wood. Une brillante osmose qui a donné une des plus belles pages du rock anglais, entre le dérisoire et le grandiose. J'ai gardé précieusement tous les vinyles et si la suite de leur carrière respective fut moins glorieuse, nostalgie oblige, je n’ai rien loupé. Je me souviens qu’à l’époque des radios libres dans une émission que j’animais, j’avais défendu mordicus l’album de 71 A Nod Is As Good As a Wink… to a Blind Horse comme étant le meilleur disque de rock enregistré. C’était un poil exagéré. Si je n’ai jamais rencontré physiquement Ronnie, le retrouver par courriel était un rêve devenu réalité.
Dès notre premier échange, il m’a confié qu’il a été guéri par une gitane bohémienne même s’il n’a pas retrouvé l’usage de ses jambes. Il se sent bien au sein de la communauté rom. Il vit dans une roulotte mais attention, pas celle des clichés. Non, une caravane moderne avec tout le confort et une connexion qui nous a permis de dialoguer. Régulièrement il m’écrivait des bords du delta du Danube où sa famille d’adoption tsigane s’est installée. J’en ai profité pour l’interroger sur son enfance, sa famille et sa carrière. Àchaque fois ses réponses ont été précises et chaleureuses. À l’évidence il a pris plaisir à correspondre avec un frenchy quelque peu intrusif mais passionné. Voici quelques extraits choisis.
Comment les Small Faces sont-ils devenus les Faces ?
« Quand en 69 Steve Marriott a voulu intégrer Peter Frampton dans ce groupe que nous avions créé en 1965, la magie n’opérait plus, l’esprit des sixties était mort, il nous fallait passer aux seventies. Tous deux sont partis former Humble Pie et nous, nous avons récupéré Stewart et Wood. Ils venaient de s’engueuler avec Jeff Beck, ils étaient dispos, pourquoi hésiter ? Warner voulait continuer l’aventure « petits leaders » mais nous, nous voulions nous imposer comme Faces et c’est ce que nous avons fait ! »
Selon lui quel fut leur meilleur disque ?
« Il faut reconnaître que les deux premiers opus étaient plutôt ratés. Notre troisième enregistrement était bien plus réussi mais mon préféré reste Ooh La La notre quatrième et dernier album sorti en 73. Il fut numéro un en Angleterre. Rod et Ron se sont occupés de la face A et j’ai surtout composé la face B. Le titre éponyme reste ma chanson préférée. Et puis il y avait cette superbe pochette avec cette tête que l’on pouvait faire bouger. Cela donnait l’impression que ce personnage nous parlait… Ce n’est pas avec les Cds que l’on peut produire un tel effet… »
Alors pourquoi avoir arrêté encore une fois ?
« C’est bien connu, ce crâneur de Stewart cartonnait avec sa carrière solo et je n’avais pas envie de jouer les utilités. De plus monsieur Wood ne rêvait que de ses nouveaux copains, les Rolling Stones. Si Jagger s’est longtemps venté qu’il ne voulait pas nous le piquer, Woody est quand même parti cloner Keith Richards. Après une tentative de me remplacer par un bassiste japonais, les Faces se sont arrêtés et je me suis lancé en solo avec un son plus folk, plus acoustique et plus rural. Avec mon nouveau groupe Slim Chance j’ai monté cette incroyable tournée The Passing Show avec un cirque ambulant, des jongleurs, des clowns, des animaux, des roulottes et je me suis ruiné… Une fois de plus Pete Townshend m’a aidé, il a rameuté tous les copains et on a enregistré Rough Mix mon dernier bon album. C’était en 77, mon temps était passé, la mode des punks et la maladie m’avaient rattrapé. »
Était-ce le souvenir de cette tournée de saltimbanques qui lui avait donné le gout du voyage ?
« Effectivement après une étape au Colorado, j’ai rencontré mon Esmeralda qui m’a sorti des griffes des docteurs et m’a emporté sur les routes à la rencontre des bohémiens qui m’ont adopté. Le mode de vie nomade me convient, je vis au rythme des gens du voyage traversant l’Europe et je tente d’oublier mon passé… »
À travers cette correspondance, j’ai découvert un type intègre et lucide qui semble ne pas avoir trop de regrets : une belle rencontre avec une chouette personne que j’aurais bien voulu continuer à fréquenter. Pourtant depuis j’ai perdu le contact. Il est fort probable que Ronnie a repris la route avec ses amis manouches mais avant de partir il m’a envoyé toute une série de vieilles photographies. Des souvenirs de jeunesse, de ses folles années de rock star mais aussi de son quotidien, de sa compagne et de son chien. Parmi ces clichés, figurait la photo d’un adolescent debout au côté d’une antique roulotte : oh surprise, je reconnus ce jeune homme ! C’était moi, j’avais quinze ans ! Lors d’un voyage en Irlande, des amis de rencontre m’avaient offert ce véhicule ancestral que malheureusement, faute de chevaux, je n’avais pas pu emporter. Comment Ronnie Lane s’était-il retrouvé en possession de cette vieille image jaunie ? Avait-il récupéré cet ancêtre du camping-car ? Où était-il stationné ? Malheureusement, ça je ne le saurais jamais…

À lire en écoutant : The Faces, A Nod Is As Good As a Wink… to a Blind Horse & Ooh La La.
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