ANGE DU ROCK N°8 : GEORGES HARRISON
- Patrice Villatte
- 7 mai 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 sept. 2023

La vie est faite de rencontres comme le dit si bien Edouard Baer ! Celle-ci semble incroyable et pourtant. C’est lors d’une soirée qu’Émilie ma voisine m’a parlé de ce vieux type qu’elle avait côtoyé en Inde deux semaines auparavant. Travaillant pour Madeleine Demille, elle s’était rendue à Shimla (anciennement nommée Simla), l’ancienne capitale d’été du gouvernement de l’empire des Indes britanniques. Elle devait y faire des repérages pour colorier les magnifiques pages d’une fameuse bande dessinée. Elle avait logé dans le palais du gouverneur transformé en Bed and Breakfast pour touristes fortunés, là même où Mortimer avait perdu sa virginité...
« Et devine qui tient l’établissement, me lança telle ? Olivia la compagne de George Harrison ! »
Cela ne semblait pas si surprenant que ça, mais la suite le fut assurément.
« Et régulièrement George vient donner un coup de main… »
Émilie connaît mon attachement pour les Beatles et il y a des sujets avec lesquels on ne plaisante pas. Sont-ce les effets de l’alcool ou les débuts d’une maladie dégénérative qui font divaguer ma charmante invitée ? Elle insiste et raconte à l’assemblée désormais attentive : « J’ai mis du temps à comprendre mais c’est bien lui à n’en pas douter, d’ailleurs si tu me crois pas tu n’as qu’à m’accompagner, je repars bientôt terminer ce boulot, à toi de te décider ! »
À cette époque, voyager était facile. Un mois plus tard, me voici sur les contre-forts de l’Himalaya. J’ai réservé et à cette saison dans cette auberge de luxe il n’y a pas foule. Effectivement les quatre de Liverpool sont partout avec des affiches, des photos encadrées et toutes sortes de souvenirs et de colifichets : mais aucune trace de la famille Harrison… Ce n’est que trois jours plus tard que George débarque parfaitement décontracté ! Sur la terrasse face à la vallée, il s’installe sur un zafou en position de lotus puis se met à méditer. Hors de question de le déranger mais je peux longuement l’observer. Aucun doute possible, il s’agit bien de l’ex Beatles. C’est désormais un homme âgé plutôt bien conservé, qui a abandonné toute velléité de paraître branché. Il a gardé ses cheveux longs, période « Dark Horse » plus une barbe plutôt mal taillée. Il porte une tunique blanche à la Gandhi et bien sûr, des sandales aux pieds. Avoir un look plus baba semble impossible, visiblement il a retrouvé cette dégaine hippie qu’il avait cultivée au début des seventies, puis qu’il avait abandonnée dans les années quatre-vingt quand il cherchait à se moderniser… Bêtement, pour me faire discret je m’assois comme lui les jambes croisées parfaitement repliées, mais au bout de deux heures me voici complètement ankylosé et au moment de me relever je fais dégringoler une grande cruche en terre cuite. Silence gêné, regard inquisiteur, pas vraiment le bon moyen pour se présenter… Doit-on y voir les bienfaits de la méditation transcendantale ou ceux d’un régime végétarien stricte, mais Harrison reste zen. Il accepte volontiers mes plates excuses et commande du thé.
Ne sachant pas par où commencer, j’engage la conservation sur le thème de la beauté du paysage que les britanniques nomment « Queen of Hills » la reine des collines.
« J’imagine que tu n’es pas venu de si loin pour me parler des rhododendrons ?
– Pourtant je connais votre passion pour le jardinage, et j’imagine que loger au Viceregal Lodge and Botanical Garden doit vous apporter quelques satisfactions ?
– C’est un des rares trucs que j’ai ramené de ma vie passée. Déjà à Friar Park, je m’éclatais à voir toutes ces fleurs pousser. Et pour le reste je n’ai rien gardé, j’ai tout refilé à mon fils Dhani : les guitares, les McLaren F1 et même les inédits de Monty Python. Quelques copains doivent me regretter : dernièrement Alvin Lee m’écrivait qu’il avait monté un groupe avec Jon Lord et Cozy Powell et qu’il espérait me voir débarquer. Jeff Lynne m’a aussi récemment contacté. Il veut remonter les Traveling Wilburys avec Dylan, plus Clapton et Randy Newman pour remplacer Tom Petty et Roy Orbison qui ont renoncé… Ils sont bien gentils mais ils semblent oublier que je ne sais mème plus m’accorder ; à la rigueur si c’est pour jouer du sitar mais sûrement pas pour rocker ! La seule musique que je peux aujourd’hui écouter c’est celle de Ravi Shankar ou encore celle de Ali Akbar Khan le célèbre joueur de sarod. Ravi me l’avait présenté pour le concert pour le Bangladesh et depuis son esprit ne m’a jamais quitté. J’ai d’ailleurs reçu il y a peu un de ses enregistrements posthumes publié sous le titre Bear's Sonic Journals ; That Which Colors the Mind enregistré à San Francisco et datant du 29 mai 1970. Je m’en souviens, j’y étais. Ce jour là, Ali a joué deux morceaux et le concert a duré près de deux heures… Ça c’est vraiment le pied !
Pour ce qui est de la musique légère, j’ai depuis longtemps tout donné. Après le succès de All Things Must Pass que j’avais conçu après avoir été libéré de qui tu sais, ma carrière discographique a été une longue descente en enfer.
– Il vous reste quand même de bons souvenirs ? Quand Frank Sinatra a repris Something et qu’il a annoncé partout que c’était la meilleure chanson d’amour jamais écrite, cela a du vous faire plaisir ?
– Ce mafieux qui chante une bluette, non merci ! J’ai jamais supporté ce type. Pour moi il est le symbole de tout ce que ce show-business peut produire de pire. Le début des années quatre-vingt fut un véritable cauchemar. Quelle galère pour enregistrer Somewhere in England. La maison de disque voulait de la musique soit disant plus vivante et il a fallu tout recommencer pour plaire à ces messieurs de l’industrie du disque. Une photo de cet album le rappelle, c’est l’acupuncture qui m’a sauvé. Ce n’est qu’en 1987 avec l’album Cloud Nine que j’ai renoué avec le succès. Mais c’était trop tard. En 1991, Eric Clapton m’a traîné au Japon pour une série de concerts mais vu que je n’avais pas tourné depuis 1974 le résultat fut pour le moins besogneux et moi j’étais dégoûté.
Le 30 décembre 1999 un dingue a pénétré notre domicile et m’a poignardé. Puis je suis tombé gravement malade et j’ai compris qu’il était temps à cinquante huit ans de me retirer de la vie publique. Tu sais, être plus célèbre que Jésus Christ n’a pas que des avantages et c’est donc ici que j’ai décidé de terminer une existence bien remplie. J’ai laissé les journaux raconter leurs salades et peu à peu je me suis fait oublier. D’ailleurs si tu racontes notre rencontre, personne ne te prendra au sérieux et tu passeras au pire pour un imposteur ou au mieux pour un taré. Je ne crains plus la popularité, je me suis fait ermite et je ne l’ai jamais regretté.
– Vraiment, personne n’est au courant ?
– Très peu de gens savent où me trouver. Paul McCartney ignore tout de ma nouvelle vie et Lennon là où il est, doit bien rigoler… Seul Ringo sait où je me suis retiré. D’ailleurs il m’énerve car chaque année il insiste pour que je participe aux tournées de son All-Stars Band. Il est gentil, mais je doit m’occuper de mes rosiers. Clapton doit aussi s’en douter car il essaie régulièrement de me contacter. Problème, malgré notre longue amitié, l’âge venant, me revient en mémoire cette période où je jouais le rôle du mari trompé, et j’ai pas du tout aimé. J’ai beau être cool, je suis normalement jaloux et je n’oublie pas qu’il m’a piqué mon premier amour. Quand on trompe son meilleur pote, il me semble que le mieux c’est de ne jamais en parler, et encore moins de le chanter. »
La fraîcheur du soir est tombée et les lumières de la vallée se sont allumées quand je me rends compte que les Beatles ont été très peu évoqués. Peut-être est-ce ce qui a plu à George Harrison : discuter avec quelqu’un qui ne cherche pas à rallumer ce passé qu’il souhaite oublier avec des histoires maintes fois rabâchées. Malgré quelques rancœurs qui continuent à l’habiter, il semble apaisé. Sa vie est désormais en Inde à cultiver son jardin secret. Avant d’aller se coucher l’ex Fab Fours me lance avec cette accent scouse cent pour cent liverpuldien.
« C’est John qui avait raison quand il disait « George tu finiras sur un tapis volant »… Le con, il n’était pas si loin de la vérité ! »

À lire en écoutant : George Harrison All Things Must Pass
Je plane avec Georges...
Encore un portrait passionnant ! Et des illustrations d'enfer...