ANGES DU ROCK N°39 : PRINCE & MICHAEL
- Patrice Villatte
- 6 janv. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 janv. 2023

« Au moins mes albums ne sonnent pas démodés, avec ce vieux son eighties truffé de boites à rythmes cheaps et de synthés bling bling !
– Mes disques sonnent démodés ? N’importe quoi ! Je les ai produits seul moi ! Pas de Quincy pour me diriger ! ». Flashback :
Benoit est un vieux copain. Après avoir exercé tous les métiers en France, il est venu se réfugier du côté de Chicago il y une dizaine d’années. Il est devenu Chef Benoit, marié, spécialiste du chou à la crème et patron du restaurant « Chez Benoit-Bistrot » situé à Highland Park, Highwood au nord de la windy city, face au lac Michigan. Une des meilleures tables de l’Illinois !
Avant son rêve américain, il avait dirigé différents clubs et avait gardé des contacts dans le monde du spectacle, notamment celui d’un certain Rogers Nelson. À l’époque monsieur Nelson ne voulait plus qu’on l’appelle Prince. Ce dernier était venu plusieurs fois à la Scène Bastille dans le onzième arrondissement, un lieu idéal à Paris pour des afters branchés. Notre Benoit l’avait bien reçu et ils avaient sympathisé. Très naturellement, quand mon ami s’installa aux États-Unis, notre vedette devint un fidèle de son restaurant, venant régulièrement diner en voisin.
Début avril 2020, je reçus un appel de Chef Benoit : « J’ai besoin que tu me rendes service, m’annonça t’il quelque peu paniqué. Prince arrive ce soir pour manger avec son nouvel ami. Comme d’habitude ses exigences sont invraisemblables et pas question de négocier. Je dois bien sûr fermer mon restau aux clients. Ils arriveront vers vingt heures, entourés de gardes du corps plus d’un goûteur spécialisé. Aucune publicité, aucune photo, aucun enregistrement, tout le monde sera fouillé. J’ai signé un contrat hautement confidentiel que j’ai intérêt à respecter. Chose étrange, ils veulent un décor à la française avec deux domestiques en livrée, en perruque et costume style Louis XIV. J’ai pensé à toi et à notre pote Pascal. Ça le changera de ses cochons habituels… Vous servirez les plats et tiendrez les chandeliers. J’ai déjà loué des redingotes à basques étroites et petit col droit, plus les culottes et les bas de soie. Je t’en prie accepte et ne me déçois pas ! » Le ridicule m’ayant depuis longtemps épargné, je ne pus refuser.
Le jour dit, avec toute l’équipe du « Chez Benoit-Bistro » alignée en rang d’oignon, me voici droit comme un piquet à attendre l’arrivée de nos célébrités. Quand Prince et « oh miracle ! » Michael Jackson en personne sortent d’une Cadillac Escalade Limousine aux vitres teintées, je crois bien défaillir. On les pensait morts et les voici ressuscités ! Chef Benoit grimé en François Vatel les accueille avec tous les égards dûs à leurs rangs de divinités bien vivantes. Sauf que les dieux visiblement sont contrariés et sont en train de s’engueuler…
« Moi j’ai eu les meilleurs batteurs. John Robinson, Jeff Porcaro, Jonathan Moffett. C’est autre chose que ta minable Linn LM-1 !
– Mais je n’ai pas utilisé que des boites à rythmes ! J’ai aussi joué avec Sheila E. Tu aurais bien voulu me la piquer. Tu es jaloux de mes succès.
– Jaloux de tes succès ? À part Purple Rain, je n’en compte pas tant que ça. On est loin de mon Thriller, l’album le plus vendu au monde. Et puis moi, je n’avais pas à enfiler des strings noirs pour qu’on parle de moi.
– Tu veux qu’on parle de tes goûts vestimentaires et de tes tenues de dictateurs mexicains ? La réalité c’est que tu n’as jamais été capable de rompre avec cette famille de mafieux qui t’a fabriqué. Moi je n’ai eu besoin de personne pour m’élever.
– Je sais, tu ne cesses de me le rabâcher. Tu prends plaisir à me torturer. »
Michael en pleurs est au bord de la crise de nerfs et même les délicieux mets que nous leur servons ne détendent pas l’atmosphère. Chef Benoit a pourtant mis les petits plats dans les grands mais les deux invités boudent et ne se parlent plus. Après une entrée à base de quenelles de brochet maison suivie d’un gratin dauphinois particulièrement appétissant qu’aucun des deux convives ne daigne goûter, nous sommes à deux doigts de l’incident diplomatique : Prince réclame une eau d’Evian millenium dans sa bouteille d’origine que nous ne pouvons lui servir. Que faire pour briser cette ambiance glaciale ? Chef Benoit sort alors son dernier joker : le dessert ! Quand arrivent les fameux choux à la crème avec noix de cajou et son zeste de citron vert, le regard de nos deux frères ennemis s’illumine instantanément. Visiblement Michael Jackson est le plus friand mais Prince ne laisse pas sa part pour autant et en recommande aussitôt deux autres. Profitant de l’effet glucide surabondant, notre maître queux décide de son propre chef de s’assoir à la table des deux gourmands, rompant ainsi avec une tradition bien établie de ne jamais déranger les clients.
« Alors mes chéris racontez moi vos tourments ! ». L’intervention semble tellement effrontée que caché derrière mon candélabre, je n’ose plus respirer malgré la cire des bougies qui commence à dégouliner sur mes mains heureusement gantées. Prince qui connaît notre phénomène intervient sans se gêner prenant à parti le chef français.
« C’est lui qui a commencé ! Il pense que mes albums ont mal vieilli et me reproche mes productions d’antan. Nous étions concurrents mais je sonnais plus moderne que lui ! », pointant du doigt un Jackson plus blanc que pâle, « Je voulais casser l’héritage Soul musique qui nous a nourri et proposer une musique plus funky.
– En concurrence entre le nain de Minneapolis et le géant de Detroit ? Laisse-moi rigoler, reprend Michael. J’étais déjà une star quand tu n’étais qu’une ombre en Minnesota. Tu as sorti plus d’albums que moi, soit, mais j’en ai vendu bien plus que toi ! »
Vexé et pourpre de colère, Prince est prêt à se lever pour gifler son compagnon, quand Chef Benoit s’esclaffe excédé par ce couple pourri gâté : « Vous êtes les « Kings of pop » et depuis personne ne vous a détrôné ! Au lieu de vous disputer racontez-moi plutôt votre meilleur souvenir d’une vie si bien remplie ! »
Aussitôt et sans hésiter Michael prend la parole :
« Ma collaboration avec Paul McCartney ! J’avais adoré son album London Town avec les Wings et j’avais repris Girlfriend sur Off the Wall. Il avait apprécié et quand je lui ai proposé de chanter en duo The girl is mine pour Thriller, il a aussitôt accepté. Ce fut d’ailleurs le premier single de l’album et s’il n’a pas bien fonctionné, il a ouvert la route du succès que l’on connaît. Ensuite on a remis ça avec deux autres duos dans son album Pipes of peace, et le clip de Say Say Say a cartonné. Après, ça s’est gâté. J’ai racheté le catalogue des Beatles. Il m’en a voulu à mort, pourtant c’est lui qui m’avait conseillé d’investir dans le droit des chansons, ce n’était que du business mais il l’a mal pris et depuis je regrette. C’était mon meilleur ami, rajoute-t‘il pensif.
– C’est marrant mais mon plus beau souvenir est aussi en lien avec les Beatles, intervient Prince. J’ai fait des milliers de concerts et plus encore des solos de guitare. Et bien vous ne devinerez pas quel est mon plus beau chorus ? C’était à la cérémonie du Rock &roll Hall of Fame pour l’intronisation de George Harrison. Ils avaient prévu de finir sur While My Guitar Gently Weeps avec son fils Dhani, Jeff Lynne, Tom Petty, Steve Winwood et tous les copains de George. Je n’avais prévenu personne et j’ai déboulé au dernier moment au milieu de ces vieux hippies pour un solo que j’avoue avoir particulièrement réussi. Je leur ai montré ce que nous les enfants de la Soul et du Funk étions capables de faire avec leur bon vieux rock’n’roll. Mon backliner m’a retenu quand j’ai fait mine de tomber dans la foule et mon jeté de guitare les a tous achevés ! Petit problème, je n’ai pas réussi à récupérer cette captation qui traine encore sur Internet et qui ne m’a rien rapporté. »
Aussitôt Michael se lance dans une version sifflotée du classique des Beatles, se lève et enchaine sur son célèbre Moonwalk en tournoyant autour de la table. Prince, jamais en reste quant il s’agit de se bouger, saute de sa chaise et poursuit sur un déhanchement particulièrement suggestif. Surgissant des cuisines toute l’équipe du bistrot est prête à répondre à l’appel de la danse et à transformer la soirée en super boum quand monsieur Nelson donne subitement le signal du départ. Non sans râler Jackson accepte de rentrer mais en trainant des pieds comme un ado contrarié.
Face à ces deux énergumènes, il n’est pas question d’argent ou de régler une quelconque addition, mais très discrètement celui qui semble être le chef de la garde rapprochée glisse une épaisse liasse de billets verts dans la main de notre restaurateur ravi. Après avoir salué Chef Benoit sans un regard pour les valets, Prince et Michael s’étreignent tendrement, s’embrassent puis nous quittent main dans la main comme un gentil couple reconcilié.

À lire en écoutant : Prince, Purple Rain & Michael Jackson, Thriller
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